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Pour un principe matérialiste fort

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Les biotechnologies. Perspectives stratégiques. Etat des recherches


- Rapport de l’Assemblée Nationale française. Place des biotechnologies en France et en Europe ( 18 mars 2005 ) -

 

On confond parfois les biotechnologies avec les recherches médicales. Les unes et les autres se situent au niveau du vivant. Mais les biotechnologies se distinguent, selon nous, par deux caractéristiques. La première est qu’elles couvrent un panorama de recherche beaucoup plus large que celui intéressant la thérapeutique humaine. La seconde est que les biotechnologies, au sens large, engagent des intérêts économiques bien supérieurs à ceux nécessaires aux recherches médicales, tant en matière d’investissements que de retombées. On peut faire de la bonne recherche médicale dans un Centre hospitalier Universitaire. Un pays ne peut devenir leader en biotechnologies (ou simplement abriter un pôle de rayonnement international) sans des stratégies très volontaristes, unissant le public et le privé autour de la mise en place de technopoles regroupant plusieurs dizaines voire plusieurs centaines de laboratoires et entreprises high-tech.

On pourrait ajouter que pour les biotechnologies la recherche fondamentale est intimement liée aux applications, ce qui n’est pas tout à fait le cas des recherches médicales, préoccupées en priorité de résultats immédiats intéressant les pathologies. Au plan de la recherche fondamentale, les biotechnologies posent les difficiles questions de la vie, de la reproduction, de l’évolution… où elles retrouvent d’ailleurs aujourd’hui les sciences objets des deux autres fiches de notre dossier : les nanosciences et les sciences de la vie artificielle.
Ces diverses sciences, à partir de points de départs différents, doivent désormais coopérer. Ceci pose une nouvelle fois la question de l’adéquation des cursus universitaires et de carrière des chercheurs, face aux besoins de la mobilité des connaissances. La France n’est pas la plus favorisée à cet égard, vu le maintien des rigidités académiques.

Une autre caractéristique, qu’il faut signaler dès maintenant afin que le discours public ne soit pas confisqué par les fondamentalismes de toutes sortes, est que les biotechnologies posent directement la question du rôle de l’homme dans la nature. La science peut-elle, et jusqu’où, modifier les équilibres hérités de l’évolution, tant à l’égard de la vie en général que de la « nature humaine » en particulier ? Le mythe du savant fou est constamment évoqué et, dans diverses parties du monde, des laboratoires et chercheurs se trouvent attaqués au prétexte que leurs recherches bousculent les orthodoxies.

1. Perspectives stratégiques

Les Etats-Unis sont des leaders mondiaux en matière de biotechnologies. Leur avance scientifique, découlant de la coopération sans complexes des laboratoires universitaires avec les firmes privés, permet à ces dernières de proposer au monde entier des produits pharmaceutiques et chimiques, des organismes génétiquement modifiés, des solutions d’ingénierie du vivant qui sont sans concurrence. Ce sont moins ces produits qui posent problèmes que le fait d’être commercialisés par des firmes qui brevètent leurs découvertes, conservent le monopole de leurs fabrications et, du fait qu’elles sont sans concurrents, abusent de leur position dominante. On l’a vu dans le domaine des médicaments destinés aux grandes pathologies frappant le tiers-monde ou dans la commercialisation de semences génétiquement modifiées dont ces firmes veulent se conserver le monopole. Il n’est pas certain que la décision prise récemment par l’OMC d’autoriser la fabrication des génériques soit suivie d’effets pratiques, compte tenu des obstacles bureaucratiques mis par les industries pharmaceutiques américaines à la communication de leurs sources.

Du fait des énormes profits et perspectives de profits attachés aux biotechnologies, celles-ci sont devenues une des priorités de la recherche civile et militaire américaine. Sur un tissu dense de laboratoires universitaires ou relevant de fondations, les firmes dites bio-techs se sont multipliées, sur le mode de la Silicon Valley en électronique.

Nous ne pouvons ici en dire plus concernant les techniques et les instruments qui sous-tendent le développement des biotechnologies. Précisons seulement qu’il s’agit dorénavant de mettre en place de vastes plates-formes technologiques où les différentes sciences se conjuguent, avec des moyens puissants de recherche fondamentale et d’exploration. L’investissement est de taille nationale, sinon (pour ce qui concerne nos pays) de taille européenne. Il impose en tous cas des réseaux d’excellence indispensables à la productivité des recherches.
Principaux domaines des biotechnologies, déjà bien maîtrisés ou en cours de développement dans un avenir à 10 ans

Une des spécificités des biotechnologies est que la science n’a pas encore été capable de percer le mystère de la vie. Aucune voie prometteuse n’apparaît aujourd’hui pour réaliser la synthèse d’un système biologique réplicatif même simple. Plus les recherches progressent, plus elles découvrent l’extraordinaire complexité du vivant. Ceci explique que les biotechnologies, même lorsqu’elles engagent des capitaux très importants, procèdent bien plus que d’autres domaines par essais et erreurs, selon une course chaotique. Néanmoins, on commence à en savoir assez pour pouvoir commencer à modifier les cycles de l’évolution naturelle. Les conséquences pourront en être heureuses ou désastreuses selon l’usage qui sera fait de ces recherches.

Les enjeux des biotechnologies concernent de très nombreux domaines. Voici aujourd’hui les plus actuels :

- Le décryptage des génomes. La biologie moléculaire appliquée à la génétique s’est brutalement développée à partir de la découverte, par Criks et Watson, dans les années 1950, de l’ADN, de l’ARN et des phénomènes de la reproduction cellulaire. Très tôt, les chercheurs se sont efforcés d’identifier, dans l’ADN du plus grand nombre d’espèces animales et végétales possible, les principaux gènes ou groupes de gènes composant les paires de chromosomes et susceptibles de commander la fabrication de l’individu adulte à partir d’une cellule germinale initiale. Ce travail a pris une grande ampleur avec la mise au point de machines informatiques puissantes pour l’aide au séquençage. Après avoir localisé les gènes dans le génome, il faut faire apparaître le rôle qu’ils jouent dans le développement, notamment par l’intermédiaire de la synthèse de protéines (notamment enzymes) intervenant à diverses phases de la croissance pour spécifier le développement des cellules spécialisées dans la mise en place et le fonctionnement de chacun des organes du corps.

A la suite de la mise en place du Programme Génome Humain, les efforts conjugués de nombreux chercheurs du secteur public et du secteur privé ont à peu près réussi à cartographier les quelques 30 000 gènes de l’homme. Ce travail, qui devait durer une dizaine d’année, a été réalisé dans des délais bien plus courts. Il a donné lieu à de vifs débats, les entreprises privées prétendant breveter leurs découvertes alors que la déontologie scientifique voulait au contraire que les connaissances relatives aux génomes soient publiées pour l’usage commun de l’humanité. C’est finalement ce dernier point de vue qui a pu prévaloir, au terme d’arbitrages fragiles toujours susceptibles de remise en cause.

Parallèlement au génome humain, les génomes d’un nombre important de virus, bactéries, végétaux et animaux divers ont également fait l’objet de décryptage. Ce nombre ne cessera de croître, vu l’intérêt qui s’attache à découvrir les secrets du vivant, aussi bien dans le règne végétal qu’animal. Un généticien averti comme Richard Dawkins estime que, dans moins de trente ans, avec le développement exponentiel de l’efficacité des outils de décryptage, les génomes de plusieurs millions d’espèces seront disponibles. De simples étudiants en biologie pourront séquencer ou modifier les génomes d’espèces considérées comme mineures. Ceci montre l’intérêt essentiel qui s’attache à ce que tous ces génomes, le véritable patrimoine de la vie, ne soient pas protégés par des brevets propriétaires, mais soient mis en libre disposition (Open Source) sur les réseaux. Cependant, il importe que le législateur prévoie les dispositions légales de protection liées à un usage mercantile ou même criminel des découvertes.

La connaissance du rôle des gènes ainsi identifiés est encore très loin d’être complète, d’autant plus qu’un gène individuel n’exerce pas une action déterminée et une seule. Les gènes se conjuguent de façon souvent imbriquée dans le temps et dans l’espace. La mise en évidence de cette coopération nécessite de nombreuses expériences. L’intérêt de la connaissance du rôle des gènes tient dans la possibilité de modifier artificiellement telle ou telle partie de tel ou tel chromosome, pour invalider un gène dont l’effet a été reconnu comme nuisible (notamment ceux responsables des maladies dites génétiques, qui sont au nombre de plusieurs centaines) mais aussi pour implanter tel gène susceptible de jouer un rôle bénéfique, par exemple commander la production d’une protéine jugée utile à la meilleure adaptation de l’organisme ou de l’espèce « manipulée ». C’est ce que l’on désigne couramment par le terme de « génie génétique ».

- La protéomique. On désigne par ce nom les sciences et technologies qui ont pour objet d’identifier puis de produire les milliers (ou centaines de milliers) de protéines dont la fabrication est commandée au sein de l’organisme par la mise en activité de tel ou tel gène ou groupe de gènes du génome (gènes de développement). Ces protéines constituent le moyen d’expression des gènes, lesquels ne peuvent rien piloter directement. C’est grâce à l’entrée en activité de ces protéines, tout au long de la vie, qu’un nombre relativement réduit de gènes, souvent très voisins d’une espèce à l’autre (qu’il s’agisse de la mouche ou de l’homme) peuvent finalement produire des organismes adultes extrêmement différents, et commander à tous moments aux cellules de ces organes des réponses adaptées aux besoins de la survie.

Les protéines du vivant sont de très grosses molécules, très complexes, dont la simple description en 3 dimensions nécessite de gros moyens informatiques. Il est donc difficile d’en réaliser la synthèse artificiellement. La méthode qui sera longtemps la plus pratique consistera à créer des tissus composés des cellules capables de piloter la synthèse de ces protéines et de recueillir les produits de leur activité (par exemple l’insuline produite par des cellules pancréatiques). La capacité de modifier le génome de ces cellules afin de leur faire produire des protéines différentes de celles qu’elles produiraient naturellement fait le lien entre la génétique et la protéomique.
On voit que ces technologies ouvrent, dès maintenant, des perspectives considérables à l’industrie pharmaceutique et à l’industrie chimique ou biochimique. Ces perspectives ne feront que s’accroître avec le décryptage de nouveaux génomes et de nouvelles protéines. D’où l’intérêt essentiel qu’il y a à protéger la biodiversité, notamment dans le monde des espèces tropicales et équatoriales actuellement très menacées. Avec elles disparaîtraient des sources de savoir et d’action irremplaçables.

Malheureusement, les recherches dans ces domaines sont principalement développées par des firmes privées qui en brevètent les résultats afin de les exploiter au mieux. On retrouve là le problème politique évoqué à propos du génome humain. A-t-on le droit de breveter le vivant ou même les applications susceptibles d’être tirées de la connaissance de celui-ci ? Pour échapper au dilemme, il faudrait que les recherches publiques (relativement désintéressées et ouvertes) prennent le relais des recherches privées, ce qui supposerait des moyens considérables dont les laboratoires publics sont de plus en plus démunis. Ces moyens ne sont pas seulement en chercheurs mais aussi en équipements lourds. On sait que les biologistes et pharmaciens s’étaient à juste titre indignés de voir le projet de synchrotron français (Soleil) refusé par un ministre de la recherche, Claude Allègre. Un tel instrument est indispensable pour étudier la structure atomique des molécules vivantes.

- La glycomique ou glucomique. Plus la biologie progresse, plus de nouvelles complexités se révèlent dans la connaissance fine de la reproduction et du fonctionnement des cellules. Nous pouvons citer aujourd’hui un secteur en pleine expansion, s’intéressant au rôle des sucres dans les mécanismes vitaux, nommé par certains la glycomique. On pouvait penser, avec le génome, c'est-à-dire l'ADN et les protéines codées par elle, avoir découvert l'essentiel de ce qui détermine les mécanismes biochimiques de la cellule. Il n'en est rien. Un code bien plus compliqué est en train d'apparaître, qui met en œuvre les sucres, ou hydrates de carbone. Ceci doit nous intéresser, d'une part parce qu'il s'agit d'une nouvelle approche systémique sur l'immunologie, le développement cellulaire, la neurologie et les pathologies mais, d'autre part et surtout, parce que face à ce monde foisonnant, l'Intelligence Artificielle, associée aux mathématiques et à l'informatique, sera indispensable. Les molécules de monosaccharides constituant les briques de base se combinent pour former des disaccharides puis des polysaccharides ou sucres complexes. Il s'agit d'énormes molécules comportant plus de 200 unités s'organisant en réseaux inextricables à la surface de la cellule et commandant beaucoup de leurs fonctions vitales, telle la reconnaissance cellulaire. Or un simple sucre comportant six unités de base peut se présenter sous 12 milliards de versions possibles. Il faudra pourtant commencer à déchiffrer beaucoup de ces complexes, comme on l'a fait pour le code génétique et les combinaisons d'acides aminées qui constituent les protéines.

Il s'agit semble-t-il d'une des plus grandes frontières de la biochimie. On se trouve devant elle aujourd'hui comme on se trouvait devant le génome en 1950, expliquent les scientifiques. Les gènes ne codent pas directement pour les sucres, mais pour les enzymes utilisées dans la construction du corps. C'est à partir de l'étude de ces enzymes que, vers les années 1990, les chercheurs ont commencé à remonter vers les sucres, jusqu'ici considérés presque comme des ornements de la cellule (identification vers 1990 du gène codant pour la glycosyltransférase, laquelle permet d'apporter du sucre à des lipides et à des protéines cellulaires). On a découvert depuis de nombreuses affections découlant de défauts dans la présence de sucres au sein des protéines. Aujourd'hui, plusieurs centaines de gènes responsables de la glycosylation ont été isolés. Mais il en reste encore vraisemblablement des milliers.

De nombreux "secrets de la vie" seront donc découverts dans les prochaines années, compte tenu de la rapidité des progrès faits en glycobiologie : par exemple la façon dont la cellule peut modifier sa couverture de glycome pour faire face à des invasions microbiennes ou des changements du milieu.

- Les cellules-souches. Il est vraisemblable que, dans quelques années, le début de ce 21e siècle sera considéré comme ayant marqué une véritable révolution dans la compréhension de la mécanique cellulaire comme plus généralement dans la médecine curative, grâce aux découvertes qui s'accumulent actuellement concernant le rôle des cellules-souches.

Il s'agit de cellules issues généralement prélevées sur des embryons n’ayant pas vocation à la reproduction. On peut aussi les obtenir par clonage dit thérapeutique. Par cette dernière technique, on introduit une cellule d'un organisme adulte dans un oeuf fécondé énucléé de son matériel génétique d'origine, que la cellule de l'adulte remplace progressivement. Les nouvelles cellules résultant de la multiplication de l’œuf (le blastocyte) sont compatibles génétiquement avec le donneur, ce qui permet chez celui-ci diverses greffes et utilisations thérapeutiques.

Les cellules-souches sont cultivées in vitro pour constituer des tissus régénératifs, ou greffées dans différents organes malades, au sein desquels elles se multiplient en prenant les caractéristiques du milieu cellulaire dans lequel elles sont introduites. Ces cellules, selon la date du prélèvement après fécondation, sont totipotentes (capables de reconstituer l'organisme entier), pluripotentes (capable de donner des cellules de n'importe quel tissu) ou multipotentes (adaptées à des tissus spécialisés).

Il est apparu également que l'organisme adulte dispose dans certains tissus de cellules pluripotentes capables de régénérer des tissus autres que le tissu d'origine, avec cependant semble-t-il moins de plasticité que les cellules-souches embryonnaires. Avec cette méthode, les difficultés liées au rejet immunitaire disparaissent, ce qui permettra des auto-greffes à large échelle.

Les applications thérapeutiques futures concernent en priorité la régénération d'organes, y compris du tissu nerveux, que l'on croyait jusqu'ici incapable de créer de nouveaux neurones ou nouvelles cellules gliales. Mais les cellules souches, convenablement manipulées génétiquement, pourront aussi produire in vitro ou in vivo différentes molécules dont l'absence provoque des pathogénies. Ces applications, on le voit, ne doivent pas être confondues avec le clonage reproductif, difficilement pratiquable chez l’animal et pour le moment encore, en dehors des interdits éthiques, pratiquement inenvisageable chez l’homme.
Nous ne pouvons entrer ici dans le détail des recherches portant actuellement sur les cellules. Mentionnons seulement les travaux visant à interconnecter des cellules vivantes, par exemple des neurones, avec des transistors, de façon à réaliser des interfaces bioniques qui sont la clef des futurs systèmes hommes-machines, notamment dans le domaine des prothèses intelligentes, c’est-à-dire sous le contrôle direct de cerveau des patients.

Ces différents domaines de recherche donnent lieu à de très nombreuses applications. Citons parmi les plus importantes la production de médicaments, vaccins et autres produits thérapeutiques, la mise en point d’organismes génétiquement modifiés intéressant l’agriculture, l’élevage mais aussi la protection de l’environnement par élimination des déchets. On n’oubliera pas les recherches militaires visant à la mise au point d’armes offensives et défensives faisant appel au vivant.

Questions politiques et sociales

On sait que les recherches sur les OGM et sur cellules-souches soulèvent des controverses de nature éthique, qui les ralentissent - sans les arrêter. Il s'agit moins d'ailleurs d'éthique au sens général (rien ne permettant d'affirmer que les chercheurs en soient dépourvus) que, en ce qui concerne les cellules-souches notamment, d'objections découlant de la conception de la nature et de la vie que se font certaines religions. Pour celles-ci, l'embryon humain, même réduit à un oeuf fécondé ne disposant que de quelques cellules, est déjà une personne ayant droit, non pas au respect et à la dignité (sentiment subjectif) mais à l'intangibilité exclusive de toute manipulation génétique. Cependant, objectent les scientifiques, ces mêmes embryons sont produits et détruits en série, soit à l'occasion des procréations assistées, soit suite aux interruptions de grossesse, ce à quoi n'objectent que les adversaires déterminés de l'avortement.

Mais de nombreuses autres objections sont présentées à la recherche génétique, lorsque celle-ci conduit à la réalisation de véritables individus nouveaux ou espèces nouvelles, qui constituent ou constitueront très exactement des « chimères ». L’homme peut-il se substituer à l’évolution naturelle ? On peut poser la question en termes moraux, mais alors elle n’a guère de sens, car toutes les entreprises humaines ont visé depuis les origines à remplacer ou compléter l’évolution naturelle par une évolution artificielle. Par contre, la question doit être posée en termes de précaution ou d’opportunité. Des interventions faites de façon irresponsable sur les espèces vivantes peuvent avoir des conséquences catastrophiques, aussi bien sur l’avenir de la biodiversité que sur l’homme lui-même. On souligne aussi à juste titre le danger de telles possibilités aux mains d’irresponsables et de criminels

Les équilibres vitaux sont très fragiles et, surtout, mal connus. Des modifications infimes peuvent avoir des conséquences considérables. On cite souvent aujourd’hui l’exemple de la molécule prion, qui se révèle mortelle quand son repliement dans l’espace affecte une forme différente de celle du prion anodin.

Faut-il, comme certains le préconisent, déclarer un moratoire général aux recherches ? Outre que cette solution paraît inapplicable, elle constituerait une démission face au besoin d’approfondissement des connaissances qui est le propre de la science. On peut seulement souhaiter que les protocoles de recherche soient suffisamment soigneux et longs pour présenter le maximum de précautions. Il faudra aussi éviter que, pour des buts commerciaux, des entreprises privées prennent la responsabilité de ne pas respecter ces protocoles. D’où l’importance de nouveaux programmes ambitieux de recherche publique dans les domaines de la vie.

Pour le moment, les politiques, dans de nombreux pays, hésitent à affronter l'opinion des milieux conservateurs, retardant ainsi les bons effets thérapeutiques de telles recherches. Il s'agit d'une des nombreuses incohérences sociétales auxquelles se heurtent les sciences du vivant. Les hommes politiques, dans ces domaines comme dans beaucoup d’autres, devraient s’efforcer de précéder l’opinion publique en l’éclairant, plutôt que la suivre passivement. Pour cela, il faudrait qu’ils fassent inscrire les recherches publiques relatives à la vie dans la perspective de la protection globale et à long terme des écosystèmes, dans le cadre de larges dialogues avec les experts et les opinions publiques. Il s’agit sans doute d’opportunités essentielles pour la survie des espèces vivantes à long terme, face aux menaces qui pèsent sur elles. Nous avons vu précédemment que les manipulations génétiques faites à bon escient joueront un rôle essentiel pour la production de nouvelles variétés ou de nouvelles espèces. L’évolution naturelle n’agit, suite aux processus de mutation-sélection, qu’au terme de centaines ou milliers d’années. Aujourd’hui au contraire, quelques mois peuvent suffire à faire apparaître un mutant susceptible de s’adapter à des conditions de vie qui auraient été destructrices pour une espèce non modifiée. Les mutations artificielles devront être conduites avec la volonté de relancer le processus inventif de l’évolution, en gagnant du temps face aux menaces qui pèsent actuellement sur l’environnement et auxquelles les cycles darwiniens naturels n’ont pas le temps de s’adapter.

2. L’état des recherches dans le monde

Les Etats-Unis sont le leader mondial en matière de biotechnologies. Il y a déjà quinze ans que les décideurs ont vu là une source presque inépuisable de profits potentiels, susceptible de remplacer non seulement les vieilles industries mais même celles plus récentes, comme l’informatique et les télécommunications, où la concurrence notamment asiatique devenait forte. C’est dans ce domaine que la conjugaison réussie de la recherche publique et privée donne les résultats les plus spectaculaires. Il est pratiquement impossible de dénombrer les laboratoires universitaires ou financés par des fondations qui pratiquent la recherche fondamentale, en liaison étroite avec de grandes multinationales venant de la pharmacie ou de l’agro-alimentaire. Elles-mêmes sont entourées d’une nébuleuse de PMI bio-techs, que soutiennent des réseaux de banques toujours prêts à prendre des risques dans la perspective de retour sur investissement importants (incubateurs). Le secteur s’est aujourd’hui regroupé autour d’équivalent de la Silicon Valley, particulièrement nombreux sur la côte Ouest : baie de San Francisco et de San Diego notamment. On n’a pas observé d’effets de bulles sensibles, comme dans l’Internet. La croissance est soutenue, il est vrai, par la politique d’exportation très agressive des grandes multinationales, dont la logique a été démontrée depuis longtemps. Une recherche très active permet d’obtenir des produits avancés protégés par des brevets exclusifs, dont l’industriel s’efforce de se donner le monopole de vente, notamment dans les pays émergents et du tiers-monde. On sait à ce sujet que l’apparente victoire des pays en développement ayant obtenu de l’OMC le droit de fabriquer des médicaments génériques destinés à soigner les grandes épidémies sera sans doute compromise par les obstacles bureaucratiques que multiplie les multinationales pour freiner l’accès à leurs brevets.

Bien d’autres pays se sont lancés, avec des succès moindres, dans le domaine des biotechnologies. On peut citer notamment la Chine et le Brésil, sans parler des pays européens. Ceux-ci, notamment la France, disposent d’atouts certains : tradition ancienne en matière de sciences de la vie et recherche médicale, nombre de laboratoires importants. Malheureusement, ceux-ci sont très dispersés et, surtout, la liaison avec l’industrie ne se fait pas (ou alors très mal). On évoque couramment dans les milieux scientifiques l’exemple d’innovations dont les brevets ont été rachetés par des firmes pharmaceutiques ou chimiques américaines, sans guère de retombées finales pour les économies européennes.

Pour ce qui concerne la France, il n’est pas aisé de se faire une idée d’un secteur très varié et dispersé géographiquement. D’une façon générale, comme il est dit plus haut, il se dégage une impression de bonne compétence, sinon d’excellente compétence dans certains secteurs. Malheureusement, le manque de directions stratégiques et de moyens, pour ce qui concerne les laboratoires publics, comme la difficulté à s’insérer dans la compétition économique, produit une impression de gâchis partagée par de nombreux chercheurs, dont beaucoup en conséquence s’expatrient. En ce qui concerne les entreprises, c’est principalement le manque de moyens de financement qui les gênent, sans mentionner le peu de soutien qu’elles reçoivent des institutions dans leurs efforts pour pénétrer les marchés étrangers.

Une connaissance du secteur suppose d’abord celle des laboratoires universitaires, complétée de celle des entreprises.

En ce qui concerne les laboratoires, le CNRS, dans le département dit des sciences de la vie, a établi un annuaire des unités de recherche (voir http://www.cnrs.fr/SDV/). Mais il ne paraît pas possible de disposer de chiffres globaux répartis de manière significative.

On ajoutera à ce panorama différents établissements publics de recherche renommés, tant en France qu’à l’étranger, notamment l’Institut National pour la Recherche Médicale (INSERM), l’Institut Pasteur, l’Institut National pour la Recherche Agronomique (INRA), l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD, ex-Orstom)...
Citons aussi le réseau GenHomme dédié à la génomique humaine. Créé en 2000, à l'initiative des ministères chargés de la Recherche et de l'Industrie, il vise à promouvoir l'application de la génomique à l'innovation diagnostique et thérapeutique. Ses financements incitatifs facilitent l'émergence de projets compétitifs permettant à la France de s'inscrire fortement dans des actions menées au niveau européen.

En ce qui concerne les entreprises, on peut penser que la meilleure source d’information à ce jour est l’étude de la Direction de l'évaluation et de la prospective du ministère de la recherche et des nouvelles technologies, inaugurée en mai 2003 : Panorama des entreprises françaises de biotechnologie, Base de données nationale des biotechnologies ( http://biotech.education.fr/  ). A la date du 15 septembre 2006, ce réseau identifie
367 entreprises, 404 laboratoires, 33 incubateurs, 107 partenaires

La Commission européenne estimait le marché européen des biotechnologies à 100 milliards d'euros en 2005. 60% des nouveaux médicaments sont aujourd’hui issus des biotechnologies



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