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Pour un principe matérialiste fort

Compléments du livre
"Pour un principe matérialiste fort"

 

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Annexe : L’ordinateur quantique

Un ordinateur quantique commercialisé dès 2008 ?
par Christophe Jacquemin* (mars 2007)


La société D-Wave Systems a récemment présenté à Moutain View (Silicon Valley - Californie) - puis à Vancouver (Telus World of Science) - son système Orion, démonstration du concept d'un prototype d'ordinateur quantique à 16 qubits dont elle annonce la commercialisation... dès l'an prochain !

Effet d'annonce ? En tous cas, bien que tous les problèmes ne soient pas encore résolus, et forte d'un financement de capital-risque de quelque 30 millions de dollars canadiens, cette start-up canadienne aime à se définir comme le "premier et unique fournisseur de systèmes de calcul quantique conçus pour faire fonctionner des applications commerciales"(1).

Les démonstrations ont porté sur 3 applications (une ayant trait à la bioinformatique et les deux autres à des problèmes d'optimisation) :
1) reconnaissance de formes appliquées à la recherche de molécules dans une banque de données [association ou conflit de graphes] ;
2) résolution d'un problème de sudoku ;
3) arrangement d'un plan de table (affectation de la place des convives par affinités de personnes).

Le système Orion est constitué d'une paire de super-conducteurs - aluminium et niobium - portés à une température proche du zéro absolu (- 273,15° C). Dans cet état, les métaux peuvent se trouver dans les positions électriques 0 et 1 simultanément, permettant ainsi d'obtenir de véritables bits quantiques (appelés encore qubits(2)). Cet ordinateur est construit autour d'un processeur de 16 qubits supraconducteurs, dont le fonctionnement est celui d'un ordinateur quantique adiabatique(3).
Les qubits sont des boucles quasi-circulaires disposées sur une matrice 4x4 et couplées avec leurs plus proches voisins (Nord, Sud, Est, Ouest), ainsi que leurs seconds plus proches voisins (N, S, E, O), par des transformateurs de flux ajustables. Le circuit compte ainsi un total de 42 coupleurs de flux. En ajustant ces derniers, puis en appliquant un champ magnétique, le système se met dans l'état quantique représentant la solution du problème étudié.
Dit en d'autres termes, la machine est programmée en faisant varier les conditions magnétiques autour des qubits, créant des relations entre eux qui modèlent l'incorporation (la mise en forme) physique de l'équation que le programmeur veut résoudre. Les résultats sont lus en détectant la direction du courant du qubit une fois tous les calculs faits.


Le processeur de 16 qubits
(nom de la puce : Europa),
fonctionnant en milieu cryogénique
© Photo : D-Wave

 

Filtre permettant de ne pas affecter le fonctionnement du processeur par le bruit de fond des 128 lignes d'entrées. Les courants électriques se font sur un bouclage, créant des champs magnétiques qui modifient le comportement du niobium à l'intérieur du processeur.
© Photo : D-Wave
     
 
Puce montée sur son système réfrigérant (fabriqué par Leiden Cryogenics), ce dernier portant le système à 4 millikelvin (mK) au-dessus du zéro absolu).
© Photo : D-Wave
 
 

Si pour l'instant, ce système permet uniquement de résoudre des problèmes particuliers s'exprimant sous forme du "modèle d'Ising bidimensionnel en champ magnétique", l'entreprise prévoirait d'ores et déjà l'intégration d'un coupleur supplémentaire qui rendrait le calculateur quantique universel et permettrait, entre autres, de faire des simulations quantiques.

Le système est actuellement conçu pour une utilisation de concert avec un calculateur conventionnel sur des problèmes NP-complets(4) : en pratique le client commence à résoudre le problème sur ordinateur classique, jusqu'à rencontrer le noyau dur NP-complet, transférant alors la suite des opérations à D-Wave qui termine la résolution de manière quantique.

Peut-être trop beau pour être déjà vrai ?

Tout cela paraît bien beau cependant avec 16 qubits de puissance de calcul - soit plus de 64000 opérations en simultané (216) ( [ce qui est déjà en soi une belle prouesse] -, Orion est encore loin des supercalculateurs. D-Wave, en tous cas, annonce sans complexe le lancement d'une version à 32 qubits d'ici à la fin de l'année, puis des versions à 512 qubits et 1024 qubits pour 2008 !

Alors, faut-il déjà considérer la mise à l'index des ordinateurs traditionnels ?
A notre avis, cela semble être bien prématuré. D'ailleurs l'entreprise elle-même déclare que le calcul quantique ne doit pas être vu ici comme un remplacement des calculateurs digitaux, mais comme l'apport de nouvelles possibilités, par exemple dans le cas de certains types de calculs liés à la finance, la biologie, la chimie, la sécurité (biométrie notamment), la défense, la logistique...

Le prototype présenté est aujourd'hui 100 fois plus lent qu'un calculateur numérique courant. Orion fait tourner le calcul de multiples fois (à cause du bruit de fond qui fait que la puce peut retourner quelquefois des résultats erronés) et détermine quelle réponse a la probabilité la plus élevée d'être exacte. La meilleure solution est déterminée par le niveau d'énergie le plus bas du système. La deuxième meilleure solution - en raison de la nature physique du calcul - est le deuxième niveau bas d'énergie, etc. La solution qui minimise l'énergie et qui ressort le maximum de fois est considérée comme étant la bonne(5).

Deux objectifs sont alors poursuivis par D-Wave :
- parvenir à une solution plus précise, avec la même rapidité qu'un calculateur numérique,
- obtenir une solution de la même exactitude mais de façon plus rapide qu'un calculateur numérique.


La meilleure solution est celle qui minimise l'énergie du système

Et là, on imagine qu'il va falloir quelque temps pour passer de la preuve du concept à la réalisation de ces objectifs. Certains problèmes - et non des moindres - restent en effet encore à résoudre. Comment par exemple augmenter le nombre de qubits sans générer d'interférences nuisibles au calcul, la correction des erreurs semblant être un problème prégnant ? Combien de temps prendrait un calcul effectué par méthode adiabatique avec des milliers de qubits ? D'ailleurs, cette méthode est-elle la panacée ? Sans parler de la taille des réfrigérants à l'hélium liquide nécessaires au refroidissement des composants (taille de la pièce qui accueille la machine(6)) ? Et puis, finalement, comment programmer ce type d'ordinateur ?


Quelle sera à la finale la taille de l'ordinateur quantique ?


S'agit-il ici d'un fabuleux saut technologique ou plutôt d'un effet d'annonce pour lever plus de fonds auprès d'éventuels investisseurs ? Comment vraiment le savoir puisque la start-up(7) n'a pas permis l'inspection de la machine durant ou après les démonstrations. Les opérations étaient en effet télécommandées à distance depuis un ordinateur portable, le système Orion étant physiquement localisé a Burnaby (Canada), "le système étant trop sensible pour être facilement transportable", selon les déclarations de la compagnie, dont on peut penser qu'elle souhaite aussi protéger le secret industriel.
Le prototype n'a donc pas pu être testé par des spécialistes extérieurs reconnus. Seth Lloyd lui-même, père des travaux sur le modèle adiabatique de calcul quantique a déclaré «rester toujours un peu sceptique jusqu'à ce que je vois vraiment ce qu'ils ont fait (...). En tous cas, je suis heureux que D-Wave se soient lancée dans cette voie».
Mais selon Geordie Rose - co-fondateur de D-Wave - les résultats de la démonstration devraient être soumis à examen par des pairs, en vue d'une publication dans un grand journal scientifique.


Ecran d'accueil prévu pour la location en ligne de temps de calcul sur Orion.
Les données sont envoyées à D-Wave par internet, qui propose la minimisation
du temps de calcul dans la résolution des problèmes.
(Objectif affiché dans le business plan de l'entreprise pour le 1er trimestre 2008)

Quoi qu'il en soit, et en attendant la commercialisation directe annoncée, D-Wave va proposer de louer le temps de calcul d'Orion et de lui envoyer les problèmes à résoudre par Internet(8).

Et dès le courant de ce deuxième trimestre 2007, un système Orion devrait par ailleurs être mis gratuitement à disposition de la communauté scientifique avec l' objectif d'obtenir des chercheurs l'élaboration d'algorithmes quantiques pouvant être implémentés dans la machine.

A suivre de très près, donc.
Pour l'instant, contentons-nous de filer la métaphore en disant que, tel un qubit, nous voici placés dans un bel état de superposition, mitigé entre scepticisme de rigueur et confiance en l'avenir.

* Co-rédacteur en chef, avec l'auteur, du site www.automatesintelligents.com



(1) Notons cependant qu'il existe déjà de telles entreprises, spécialisées par exemple dans la cryptographie quantique. Voir notamment http://www.idquantique.com.
(2) A la différence d'un bit classique de la physique traditionnelle, un bit quantique (qbit) peut être soit un 0, soit un 1, soit simultanément les deux (on parle ici d'états superposés). Ceci permet d'accélérer drastiquement la vitesse de calcul au point que certains problèmes par principe insolubles jusqu'ici peuvent désormais se résoudre facilement.
(3) Ordinateur quantique qui, en théorie, n'a pas besoin d'être isolé du monde extérieur pour fonctionner et qui peut supporter de faibles écarts de température. A la différence des prototypes d'ordinateurs quantiques qui utilisent par exemple des impulsions laser sur des électrons, excitant ainsi ces particules afin de les mettre dans un état quantique particulier (dans ce type d'ordinateur, le système doit être suffisamment longtemps isolé du monde extérieur pendant les calculs, difficulté augmentant avec le nombre de qubits, il faut être aussi capable de pouvoir lire l'état quantique final sans détruire le résultat), l'ordinateur quantique adiabatique se sert du refroidissement des circuits métalliques, les plaçant dans un état supraconducteur dans lequel les électrons circulent librement (jonction Josephson et effet tunnel) donnant pour résultats des qubits. C'est ensuite la variation du champ magnétique qui conduit graduellement les qubits à s'ajuster entre eux.
Pour concevoir Orion, système qui lie profondément logiciel et matériel, D-Wave s'est appuyé sur les travaux de Seth Lloyd du MIT (modèle adiabatique de calcul quantique), et notamment sur son article "Scalable architecture for adiabatic quantum computing of NP hard Problem".
http://arxiv.org/PS_cache/quant-ph/pdf/0211/0211152.pdf.
(4) Un problème NP-complet (pour Nondeterministic polynomial , en français : problème non-déterministe polynomial) bien connu est celui de la tournée du voyageur de commerce, qui consiste à trouver la plus courte route entre différentes villes. Dans un problème NP-complet, le temps de calcul augmente exponentiellement avec le nombre de données (donc impossible - ou presque - à mener sur des ordinateurs conventionnels). Grâce à l'ordinateur quantique, on passe d'un temps de résolution exponentiel à un temps de résolution polynomial.
(5) Un test sur des problèmes où la réponse correcte était déjà connue a montré que la majorité des réponses données par l'ordinateur quantique était toujours exactes.
(6) Selon Geordie Rose, co-fondateur de D-Wave, l'unité de réfrigération consomme la plus grande partie de la puissance à 20 kilowatts, ce qui est faible comparé à des fermes de serveurs . Pour lui, l'extension du nombre de qubits sur la puce n'exigera pas le besoin d'une augmentation massive de la réfrigération.
(7) Forte aujourd'hui de 25 personnes, D-Wave est une spin-off du département de physique et d'astronomie de l'université de Colombie britannique (UBC).
(8) Objectif affiché dans le business plan de l'entreprise pour le 1er trimestre 2008.


Pour en savoir plus : 

Site de D-Waves Systems :
http://www.dwavesys.com

Sur le calcul quantique adiabatique, voir "Quantum information science" (MIT - 14 mars 2006) : http://ocw.mit.edu/NR/rdonlyres/E26486E1-E922-491E-8449-F0AEA5B399C3/0/lecture_10.pdf

 

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