Annexe 12
Défense de l’Europe/Europe de la défense.
NB. Compte tenu de l’actualité, cette annexe a été
ajoutée le 22 mars 2008
Résumé : Différentes échéances
obligent à poser de nouveau la question de la possibilité
d’une défense européenne (défense de l’Europe)
qui soit réellement indépendante des stratégies politiques
et militaires des Etats-Unis. Cette question entraîne immédiatement
son corollaire : que pourrait faire la France, en théorie, pour
aider à construire cette défense. Que va-t-elle faire en
fait, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, à l’occasion
notamment de la présidence française de l’Union au
second semestre 2008 ?
Dans notre livre « L’Europe et le vide de
puissance » nous évoquons plusieurs fois la thèse
selon laquelle l’Europe ne se construira jamais sous la forme d’uns
puissance géopolitique globale si elle ne s’affranchit pas
définitivement de la tutelle militaire et économique des
Etats-Unis. La tâche sera d’autant plus ardue que c’est
cette tutelle qui a contribué à faire naître l’Europe
sous la forme qui est la sienne actuellement, celle d’un ensemble
peu structuré d’Etats dépendants des politiques américaines,
même lorsque celles-ci mènent tout droit à des catastrophes,
que ce soit au plan diplomatique (guerres au Moyen-orient) ou économique
(crise mondiale possible amorcée par une crise américaine).
Nous avons examiné dans d’autres articles
la question économique, à laquelle il faudra de nouveau
s’intéresser prochainement. Revenons ici sur la question
de la défense européenne. Que signifierait une défense
européenne véritablement européenne ? Le concept
est-il envisageable ? Quelle contribution la France pourrait-elle
apporter à une telle défense ? En prend-elle le chemin ?
1. Le concept de défense de l’Europe
Les experts sont conduits à distinguer deux concepts
qui sont loin de se recouper, celui d’Europe de la défense
et celui de défense de l’Europe. Sous l’apparence d’un
aimable jeu de mots, il s’agit de choses profondément différentes
- pour le moment encore.
1.1. Le piège actuel de l’Europe
de la défense
L’Europe de la défense est celle qui a été
définie par les différents traités et accords européens
ainsi que par les conventions avec l’Otan, et donc les Etats-Unis.
Elle est baptisée du nom de PESD, politique européenne de
sécurité et de défense.
1.1.1. La PESD
Celle-ci comprend pour l’essentiel :
- Les missions dites de Petersberg élargies,
lorsque l’Otan ne veut pas les assumer. Les missions de Petersberg
sont « les missions de gestion de crise que l’Union européenne
doit être en mesure de mener dans le cadre de sa Politique Européenne
de Sécurité et de Défense. Il s’agit des missions
humanitaires ou d’évacuation des ressortissants ; des missions
de maintien de la paix ; des missions de forces de combat pour la gestion
des crises, y compris des opérations de rétablissement de
la paix. Les missions de Petersberg ont été définies
dans la Déclaration de Petersberg, adoptée par le Conseil
des ministres de l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) le
19 juin 1992, dans le cadre d’une redéfinition du rôle
de l’organisation. L’UEO a été depuis absorbée
par l’Union européenne » (http://www.operationspaix.net/-Missions-de-Petersberg/)
.
En gros, il ne s’agit pas véritablement
de défense de l’Europe mais d’interventions, principalement
en dehors d’Europe, pour assurer le « maintien de la
paix » et plus généralement gérer des
crises avec des moyens militaires. Ces « interventions »
devraient en bonne logique être d’initiative européenne.
Juridiquement, elles ne dépendent que de la volonté des
Etats-membres. Mais par le passé, en l’absence, d’une
diplomatie commune, dont la PESC (politique étrangère de
sécurité commune) ne pouvait tenir lieu, elles ont répondu
pour l’essentiel à des pressions faites sur l’Europe
ou sur certains de ses Etats par l’Otan et derrière cette
dernière par les Etats-Unis. Elles n’ont que rarement sinon
jamais été discutées au sein des parlements des Etats
membres ou du parlement européen.
- Ces forces sont exclusivement européennes.
A l'exception de l'opération Althéa en Bosnie Herzégovine,
toutes les autres opérations menées ces dernières
années sous la responsabilité de l'Union européenne
ont été indépendantes des moyens propres de l'Otan.
Cependant, cette force dépend en partie pour son déploiement
des moyens logistiques que voudront bien fournir les Etats-Unis, les ressources
des Etats responsables de la force étant très limitées.
Il s’agit de moins de 100.000 hommes au total.
La mise sur pied de la force d'intervention rapide Européenne
de 60 000 hommes décidée au sommet d'Helsinki, que l'on
dénomme “objectif 2003”, reste effectivement relativement
théorique. La raison réside certes dans la tiédeur
des pays de l'Union, mais aussi dans son inadaptation à la résolution
des crises internationales telles qu'elles se sont présentées
ces dernières années. Les 15 Groupements tactiques de 1500
hommes chacun ( objectif 2010) sont plus adaptés aux missions de
Petersberg, notamment en matière de disponibilité et de
réactivité opérationnelle
- Une structure politico-militaire censée
commander ces forces, dont le rôle opérationnel est difficile
à définir, compte-tenu du fait qu’il ne s’agit
pas d’un état-major opérationnel permanent, équivalent
du SHAPE de l’Otan, le Royaume-Uni sous la pression américaine
s’y opposant fermement. On pallie cette lacune par la mise à
disposition d'un état-major opérationnel fourni par la nation
cadre de l'opération. C'est le cas de l'opération EUFOR
qui se déroule actuellement au Tchad.
1.1.2. Les interdits anglo-américains
Pourquoi cette faiblesse constitutionnelle, alors que
les 27 Etats européens auraient pu, en regroupant et en coordonnant
leurs ressources, disposer de plus de 3 millions d’hommes dont certains
très entraînés, de moyens terrestres, aérospatiaux
et maritimes dont la qualité et l’efficacité sont
reconnues dans le monde entier (sans même mentionner les forces
nucléaires stratégiques de la France et de la Grande Bretagne),
dont la conception et la fabrication enfin, malgré des abandons
de souveraineté de plus en plus dommageables, permettent encore
d’entretenir des pôles industriels et d’innovation technologiques
qui « tirent » toutes les entreprises européennes de
pointe ?
Ceci parce que les Etats-Unis, relayés en Europe
par les britanniques dans le cadre de la coopération nucléaire
spéciale dite Special Relationship) n’ont jamais accepté
que l’Europe soit autre chose qu’un appoint à l’Otan
dont ils ont fait, sous leur direction et au service de leurs stratégies,
un instrument tous azimuts de défense de leurs intérêts.
Comme le confirme le traité rectificatif (art. 27) « La
politique de l’Union… respecte les obligations découlant
du Traité de l’Atlantique Nord pour certains Etats membres
qui considèrent que leur défense commune est réalisée
dans le cadre de l’Otan… ». Or l’Otan avait
été voulue, du temps de la guerre froide, comme un moyen
de fédérer les politiques des Etats européens sous
la tutelle de Washington. Cet objectif demeure. Les gouvernements européens
l’acceptent encore par « atlantisme » rémanent,
en tête desquels se trouvent quelques nouveaux entrants dans l’Union
chez qui la peur de la Russie demeure d’autant plus forte qu’elle
est entretenue par des provocations de l’Amérique à
l’Est. Plus généralement, aucun Etat n'a la volonté
de se démarquer de la puissance américaine et d'abandonner
le confort financier résultant de cette dépendance. Le fait
que les Etats-Unis veuillent désormais associer à l’Otan
divers pays qui n’ont plus rien d’européen, tels le
Japon et l’Australie, ne les gène pas. Pour les Américains,
en dehors du fait de pouvoir faire appel à quelques contingents
en renfort des leurs en Irak ou en Afghanistan, l’Otan demeure un
très puissant moyen d’imposer à l’Europe leurs
matériels militaires (et donc leurs industriels), leurs normes
de fonctionnement et un état d’esprit de soumission aux innombrables
officiers européens qui vont « faire leurs classes »
souvent en Amérique et toujours sous commandement américain
effectif.
Il s’ensuit donc que la défense de l’Europe
est encore et restera à horizon visible de la responsabilité
de l’Otan, c’est-à-dire de ses contributeurs et décideurs
permanents, les Etats-Unis.
La dépendance des Etats européens vis-à-vis
de l’Otan est rendue plus grande, dans les discours comme dans les
faits, par la perte de vue volontaire d’un objectif européen
de défense commune. Cet objectif est systématiquement oublié
par les discours officiels qui assurent le dogme de la complémentarité
parfaite de la PESD et de l’Otan, chaque organisation jouant prétendument
sa partition, en évitant « toutes duplications inutiles et
coûteuses ».
Il faut voir ce que cela signifie. On peut dire sans
exagération que l’Occident dans la définition qu’en
donne l’Amérique (Etats-Unis+Europe+quelques autres) mène
à l’échelle du monde une guerre de plus en plus inefficace
contre des ennemis dont cette guerre contribue en permanence à
renouveler le recrutement. Elle vise pour l’essentiel à protéger
les intérêts industriels (pétrole) et stratégiques
américains. Elle oblige à étendre sans fin les opérations
militaires (Afghanistan, peut-être un jour Pakistan et Iran) contre
des combattants qui ont choisi d’autres formes de lutte, celles
de la guerre de 4e génération. Elle coûte de plus
en plus cher (3 à 5 trillions de dollars selon l’économiste
Stieglitz pour la seule guerre en Irak). Ce ne sont pas les contribuables
américains qui en supportent la charge, puisque le budget fédéral
fait appel aux prêts du reste du monde (the rest of the world).
Mais cela sera bientôt ce reste du monde qui en supportera le prix
si les perspectives de crise généralisée du crédit
se précisent.
En termes humains, les forces enfin que déploient
globalement les Etats-Unis proviennent certes de l’US-Army, mais
aussi des pays européens, directement ou à travers l’Otan.
Or les Etats-Unis, en termes très brutaux, ne cessent de demander
le renforcement des moyens européens sous leur commandement, notamment
en Afghanistan. Devant la tournure de plus en plus irakienne que prend
ce conflit, Washington avait récemment accusé l’Allemagne
d’avoir oublié la tradition militaire valeureuse de la Wehrmacht,
en affectant son contingent dans des zones relativement peu exposées.
La France n’a pas été sommée aussi directement
de renforcer sa présence, mais, comme nous le verrons, le président
Sarkozy n’a pas attendu de telles semonces pour y donner satisfaction
par avance.
En contrepartie, si l’on peut dire, de cet énorme
gâchis, qui n’apporte vraiment rien à l’Europe,
les Etats-Unis refusent à cette dernière la possibilité
de décider seule ce que sont ses impératifs de défense,
qui doivent être ses alliées et quels moyens militaires et
civiles elle doit affecter à sa défense et à sa sécurité.
Ceci ressemble beaucoup à une politique coloniale, celle qu’avaient
menée les puissances européennes durant la première
guerre mondiale en enrôlant à leur service les troupes dites
indigènes.
Les gouvernements européens ont beau jeu de dire
qu’ils n’ont pas besoin d’augmenter l’effort de
défense et même de le maintenir puisqu’il apparaît
suffisant pour conduire correctement les petites opérations relevant
de la PESD. La défense de l’Europe, c’est à
dire le cœur de la défense, resterait assumé par l’Otan.
Comptant sur l’Amérique, les gouvernements européens
peuvent, à l’égard de leur opinion publique, se féliciter
de ce que moins de 1,4% du PIB européen total soit consacré
par l’ensemble des vingt-sept pays de l’Union à leur
défense, contre plus de 3,8% pour les Etats-Unis, hors guerres
en cours ; 400 dollars par habitant pour l’Union, 1200 dollars pour
les Etats-Unis (il est vrai, comme nous le rappelions ci-dessus, financés
en grande partie par des prêteurs internationaux).
Certains hommes d’Etat européens savent
qu’il n’est plus acceptable que 500 millions d’Européens
dépendent à ce point, pour leur sécurité,
de 200 millions de Nord-Américains. Mais beaucoup soulagent leur
conscience politique dans l’affirmation d’une communauté
historique de valeurs et d’intérêts qui nous garantirait
le soutien total des Etats-Unis en tous temps et en toutes circonstances.
C’est faire preuve d’une grande naïveté vis-à-vis
d’une superpuissance qui a toujours et partout imposé ses
objectifs aux détriments de ceux des autres. On le voit encore
aujourd’hui lors des affrontements de plus en plus vifs qui l’opposent
aux autres pays, non seulement dans les questions d’accès
aux matières premières et à l’énergie,
mais en matière de lutte contre le changement climatique. Les Etats-Unis
sont pleinement dans leur droit de se comporter en puissance égoïste,
mais les autres pays n’ont aucune raison de les laisser faire aux
dépends de leurs propres intérêts.
1.2. Comment sortir du piège ? Promouvoir
la défense de l’Europe
Si l’Otan n’existait pas, si les pressions
américaines cessaient de s’exercer sur les Etats européens
pour qu’ils ne s’affranchissent pas de leur influence, si
enfin existait, dans le cadre du traité simplifié ou à
défaut dans le cadre de coopérations renforcées,
une volonté commune de défense de l’Europe, sur quelle
base faudrait-il définir celle-ci ?
Devons nous ici, dira le lecteur, poursuivre l’exploration
d’hypothèses qui paraîtront utopiques ? Certainement,
si l’on veut sortir un jour du carcan des idées qui nous
sont imposées.
Différentes approches seraient nécessaires dans ce but,
à conduire en parallèle.
1.2.1. L’étude commune des risques,
actuels et futurs
Les risques et dangers menaçant l’Europe,
comme d’ailleurs bien d‘autres pays de par le monde, sont
très nombreux. On ne peut prétendre les combattre tous et
moins encore tous les prévenir. Il faut cependant se mettre d’accord
sur les plus importants :
- Risques d’avoir affaire à des Etats
non européens qui feraient de l’agression militaire à
l’égard des Etats européens une façon d’affirmer
leur puissance ou faire face à leurs difficultés. N’en
faisons pas la liste ici. Disons seulement que la technique de la dissuasion
(riposte graduée) reste indispensable. Pour cela une panoplie crédible
d’armes ABC (dont une force nucléaire stratégique)
demeure indispensable. Il faut également disposer de systèmes
spatiaux d’alerte et de défense efficaces.
- Risques liées à des interventions
dans des zones de conflits localisées, non européennes,
mais jugées (après force réflexion) constituer une
menace pour l’Europe si celle-ci y dispose d’alliés
qu’elle ne pourrait laisser sans secours. Pour ce faire, l’Europe
doit disposer de forces de projection consistantes, avec les moyens de
transport et de logistique les rendant indépendantes, au moins
le temps nécessaire à des campagnes qu’elle ne devrait
pas accepter de prolonger seule indéfiniment. Les porte-avions
sont indispensables, avec leur accompagnement de protection.
- Risques liés à des catastrophes
naturelles ou des conflits découlant notamment de la généralisation
prévisible des crises économiques et environnementales.
Les moyens militaires d’intervention, même s’ils ne
mettent pas en priorité l’emploi des armes mais la logistique,
restent pratiquement les seuls capables de permettre à l’Europe
d’intervenir hors de son territoire, pour des motifs humanitaires
ou de simple protection de ses intérêts vitaux. Si les forces
de projection n’ont pas besoin en ce cas de capacités militaires
d’un haut degré de sophistication, elles nécessitent
presque autant sinon plus de moyens humains et matériels que dans
les deux cas précédent.
- Menaces d’infiltrations aux frontières
extérieures de l’Europe. Sans vouloir faire de celle-ci une
forteresse étanche, il est évident qu’elle fait déjà
et fera l’objet d’incessantes tentatives d’infiltration
ou d’effractions, dont la plupart viseront à mesurer sa capacité
de défense économique, administrative, sociale et militaire.
La surveillance et le contrôle des frontières nécessiteront
des moyens militaires et civils (douanes, polices) dotés de moyens
performants.
- Le danger terroriste. Les mêmes arguments
justifient la mise en place de moyens de détection et de prévention
des actions dites terroristes s’exerçant à l’intérieur
des frontières. Il ne faut pas les exagérer mais à
l’inverse il ne faut pas se laisser surprendre. Là encore,
la coopération des moyens militaires et civils sera nécessaire.
1.2.2. La définition de politiques communes
de défense optimisant les ressources de chaque Etat membre.
Il est évident que si les Etats se répartissaient
les charges, en évitant les double-emplois actuellement très
coûteux, les ressources économiques et politiques globales
que conserve l’Europe, malgré les difficultés, lui
permettraient de se comporter en grande puissance respectée des
autres dans un monde multipolaire. Mais ceci supposerait une intégration
poussée des politiques technologiques et de défense.
- Mise en commun des politiques de recherche développement
dans toutes les technologies stratégiques. Les actions devraient,
non seulement être réparties entre pays européens,
dans le cadre de programmes cadres communautaires, mais aussi chaque fois
que possible viser à la fois le civil et le militaire (technologies
duales).
- Définition de politiques budgétaires
et industrielles communes, au prorata de différents indicateurs
tels les PNB, les effectifs démographiques, les atouts naturels.
Répartition des sites industriels de production dans le même
esprit, sans pourtant handicaper les investissements par une volonté
de saupoudrage et de juste retour systématique. Dans les deux cas,
l’outil commode que représente déjà l’Agence
européenne de défense, très sous-utilisée
actuellement, devra être valorisé.
- Pour conduire les deux types d’action précédemment
cités, tous les secteurs seront concernés : le spatial,
l’aéronautique, les matériels terrestres, les télécommunications
puis, au fur et à mesure de l’évolution des technologies,
les applications des NBIC.
- Mise en place d’un service obligatoire
militaro-civil destiné à toute la jeunesse européenne,
et la conduisant à servir hors de ses frontières nationales
d’origine. Il s’agirait d’un moyen extraordinairement
efficace d’intégration de tous les Européens autour
d’une conscience commune et de sentiments d’appartenance,
intéressant particulièrement les jeunes issus de l’immigration.
- Mise en place au niveau communautaire de véritables
organes d’étude, de renseignement et de commandement communs
intéressant aussi bien les grandes politiques budgétaires,
de recherche et d’équipement que les décisions de
terrain à prendre en toutes circonstances. Les chefs d’Etat
comme les instances du traité européen concernés
par la PESD devront en être chargés, avec des compétences
considérablement renforcées. Un nouveau « petit traité
» de défense devra donc vraisemblablement être négocié
et ajouté au grand Traité simplifié. .
1.2.3. Que pourrait faire la France si elle voulait
promouvoir une politique de défense de l’Europe ?
Nous pensons que, contrairement à ce qu’affirment
les cercles européens atlantistes qui monopolisent les principaux
les canaux d’expression, la France pourrait encore être entendue
par ses grands partenaires potentiels en matière de défense.
Il lui faudrait s’inspirer, en l’étendant à
l’Europe, de la tradition d’indépendance diplomatique
et militaire qu’avait brillamment illustrée Charles de Gaulle
(que serions nous aujourd’hui sans lui) et qu’avaient reprise,
plus modestement mais avec panache, Jacques Chirac et Dominique de Villepin
en s’opposant à l’intervention américaine en
Irak (que serions nous aujourd’hui s’ils n’avaient pas
eu le courage de le faire ?)
La France dispose pour cela d’atouts considérables
:
- Une des plus performantes industries qui soit
au monde dans le domaine nucléaire, des vecteurs, de l’aéronautique,
de l’espace, des télécommunications. Evidemment, au
rythme des désengagements actuels il n’en restera plus grand
chose prochainement, mais en attendant, la fiancée France pourrait
apporter beaucoup de choses dans la corbeille.
- Une très bonne armée professionnelle,
dans les trois armes.
- Une expérience des conflits, y compris
de ceux dits de la 4e génération précitée,
que la plupart des Etats devraient nous envier, même les Etats-Unis.
- Une capacité de se faire entendre des
principaux gouvernements européens (Allemagne, Italie, Espagne
voire Grande Bretagne) dès lors qu’elle renonce à
donner des leçons et imposer ses solutions sans négociations.
- Une capacité de se faire prendre au sérieux
par les soi-disant Grands, Etats-Unis et Russie en premier lieu, lorsqu’elle
veut bien suivre et afficher sa voie sans servitude.
Tout ceci pourrait se traduire par des politiques que
la France proposerait à l’Union européenne, dans plusieurs
directions principales que nous ne détaillerons pas ici, mais qui
ont été abordées dans cet article. Voici les principales
:
- Un désengagement progressif mais rapide
de l’Otan d’une part, des guerres suicidaires et des provocations
anti-russes (notamment les bases de missiles anti-balistiques) d’autre
part, que les Etats-Unis imposent aux Etats européens directement
ou par l’intermédiaire de l’Otan.
- La mise en place rapide de la défense
de l’Europe, telle que décrite ci-dessus.
- La mise en place de grands programmes développant
des technologies de puissance civiles et militaires, dans le domaine spatial,
de la lutte contre le réchauffement, de la protection des ressources
hydriques et biologiques de l’Europe, puis, très rapidement,
visant à l’application des technologies NBIC.
- L’ouverture de grands débats politiques
et citoyens sur ces questions, au niveau de l’Europe toute entière.
- La négociation avec les Etats européens
qui souscriraient sans arrières pensés à de telles
mesures la mutualisation du siège dont la France dispose au Conseil
de sécurité de l’ONU.
2. Qu’en est-il de la politique proposée
à la France par le président de la République.
Nous ne pouvons malheureusement pas juger qu’elle
va dans le sens esquissé ci-dessus. Il est difficile de dire si
cette politique résulte d’idées personnelles de Nicolas
Sarkozy ou si elle est partagée par sa majorité, comme par
les milieux militaires et industriels directement concernés. Elle
n’est pas reconnue, sauf sur des détails, par l’opposition,
mais celle-ci ne propose pas véritablement de politique de défense
crédible, ni pour la France, ni pour l’Europe.
Peut-on caractériser rapidement la politique de
Nicolas Sarkozy en matière de défense, que celle-ci soit
française ou européenne. Faute de place, nous nous bornerons
à des têtes de paragraphes, mais nos lecteurs pourront retrouver
le détail des politiques esquissées par l’Elysée
dans un certain nombre de déclarations (assez désordonnées
d’ailleurs) dont la presse s’est faite écho.
- Un retour plein et entier dans l’Otan.
Ce retour repose sur l’illusion, que Nicolas Sarkozy semble bien
être seul à partager pleinement, que notre réintégration
complète nous mettrait en meilleure situation pour peser de l’intérieur
sur les Etats-Unis et être plus crédibles auprès de
nos alliés européens. Ainsi pourrait parallèlement
être relancées certaines initiatives intéressant la
défense de l l’Europe (lesquelles exactement ?) et désarmée
l’hostilité britannique à ces initiatives. C’est
une illusion que voudraient démentir de bons experts en la matière,
comme l’ancien ministre des affaires étrangères Hubert
Védrine qui, dans un récent rapport au président
de la République, écrit qu’ « une réintégration
de la France dans l’Otan lui donnerait sur les Etats-Unis une influence
comparable à celle des autres alliés, c’est à
dire quasi nulle… » .
- Un renforcement du contingent français
en Afghanistan. Outre l’engagement des avions de combat français
intervenant en appui des troupes au sol, le président de la République
se propose dans un court délai d’annoncer l’envoi de
1000 hommes supplémentaires. Les quelques éléments
dont le public dispose en France sur le rôle des forces spéciales
engagées au côté des Américains montrent l’inanité
de telles interventions, qui ne font que renforcer les ralliements aux
prétendus talibans, lesquels sont de plus en plus composés
d’Afghans souhaitant que les étrangers évacuent leur
pays, alors qu’ils n’apportent aucune des améliorations
promises. On peut craindre aussi que l’exemple de ces « talibans
» abondamment illustré en Europe par les réseaux Internet
provenant des insurgés, multiplient les vocations chez les jeunes
musulmans, qui voient non sans raison des héros chez ceux qui avec
des moyens matériels réduits, font face à la prétendue
écrasante puissance militaire « occidentale ».
Rappelons que le 22 décembre 2007, lors d'une
visite surprise en Afghanistan où 1.300 soldats français
sont stationnés dans le cadre de la mission de la Force internationale
d'assistance à la sécurité (ISAF) de l'OTAN, Nicolas
Sarkozy avait exprimé son voeu que « l'Afghanistan ne
devienne pas un Etat qui tombe aux mains des terroristes comme nous l'avons
vu avec les talibans ». « Il se joue ici une guerre,
une guerre contre le terrorisme, contre le fanatisme, que nous ne pouvons,
que nous ne devons pas perdre ». Ce discours est très
proche de celui de George Bush, affiché aussi bien dans la guerre
menée par les Etats-Unis et quelques alliés en Irak que
dans celle reprise en Afghanistan. Dans les deux cas, ces interventions
sont en train de l’avis général de conduire à
des impasses, sinon, dans le cas de l’Irak à des désastres
de portée mondiale.
Nous trouvons à cet égard plus inquiétant
que rassurant l’appui apporté à Nicolas Sarkozy par
le candidat républicain à la présidence américain,
John McCain, lors d’une visite à Paris le 21 mars. Celui-ci,
fervent défenseur du maintien des troupes américaines en
Irak, a exprimé sa “reconnaissance” à la France
pour son engagement militaire en Afghanistan. « J'apprécie
votre action et je pense que nous sommes dans une ère d'amitié
et de coopération qui sera non seulement bénéfique
pour nos deux pays mais aussi pour la paix dans le monde »,
a ajouté John McCain.
Concernant l’avenir de l’Otan, nos alliées
européens ne semblent pas très favorables à voir
la France rentrer dans l’Otan ni soutenir les Etats-Unis en Afghanistan.
Beaucoup d’entre eux, à commencer par l’Allemagne,
se posent la question de l’efficacité et donc de la pérennité
de l’Otan, depuis la campagne du Kosovo en 1999, jusqu’à
celle d’Afghanistan aujourd’hui.
Certes l’Otan semble tellement en danger que 5
anciens chefs d’Etat-major européens ont proposé à
la fin de l’année 2007, dans un rapport qui a été
assez mal reçu par beaucoup de militaires français, («
Towards a grand strategy » ) , de quasiment fusionner la défense
de l’Europe et l’Otan, sous la direction d’ensemble
des Etats-Unis. Il s’agirait de relancer un nouveau partenariat
transatlantique, marqué par la création d’un «
Directorate » où seraient représentés au plus
haut niveau politique les Etats-Unis, l’Union Européenne
et l’OTAN. Ce directoire serait chargé des décisions
stratégiques, pas seulement militaires, mais également de
sécurité, y compris hors zone - ce qui laisse ouvert
un champ d’intervention pouvant s’étendre si besoin
était au monde entier. Les arguments retenus pour ce faire reposent
sur une analyse des menaces qui pèsent désormais sur le
« monde occidental ». L’Europe ne saurait se dispenser
de contribuer avec les Etats-Unis à la lutte contre ces menaces.
Nous pensons pour notre part, comme indiqué ci-dessus, qu’elle
pourrait très bien se défendre seule plutôt que se
laisser entraîner en « caniche » des Etats-Unis dans
des conflits dont elle ne retirerait que les dommages collatéraux.
A condition bien entendu qu’elle accepte le coût de cette
autonomie, comme indiqué ci-dessus. Le rapport des 5 hauts gradés
semble en fait la partie visible d’une entreprise d’intoxication
menée de façon couverte (covert) par des agences dépendant
du Pentagone. Certains ouvrages récents, dont celui de l’ancien
Premier ministre français Edouard Balladur, vont dans le même
sens.
- Un réajustement de la défense française.
Dans un discours prononcé à Cherbourg le 21 mars, Nicolas
Sarkozy a réaffirmé l'importance de la dissuasion nucléaire
dans l'arsenal de défense français, la qualifiant d'“assurance-vie
de la nation”. Se disant déterminé à "assumer
le coût" de cette dissuasion, le chef de l'Etat toutefois souhaité
que s'applique le principe de “la stricte suffisance”, selon
lequel « la France maintient son arsenal au niveau le plus
bas possible compatible avec le contexte stratégique ».
En conséquence, M. Sarkozy a annoncé la
réduction “d'un tiers” de la composante aéroportée
(avions, missiles) de la force de dissuasion nucléaire française.
Jusqu'à présent la France disposait de soixante Mirage 2000-N,
auxquels vont se substituer progressivement à partir de 2009 des
Rafale. « Après cette réduction, notre arsenal
comprendra moins de trois cents têtes nucléaires, c'est la
moitié du nombre maximum de têtes que nous ayons eu pendant
la guerre froide », a indiqué le président. Il
a également assuré qu'« aucune de nos armes n'est
ciblée contre quiconque », une position qui tranche
avec la doctrine nucléaire défendue par Jacques Chirac :
le 19 janvier 2006, celui-ci avait énuméré les “intérêts
vitaux” de la France susceptibles, s'ils étaient menacés,
de provoquer une riposte nucléaire, et précisé que
les « dirigeants d'Etats qui auraient recours à des
moyens terroristes » étaient particulièrement
visés. Il avait laissé entendre que les gouvernements européens
pourraient à leur demande faire appel à cette protection.
Louant par ailleurs l'attitude, selon lui “exemplaire”, de
la France en matière de désarmement nucléaire, le
chef de l'Etat a invité le reste du monde à s'engager “résolument”
sur cette voie au nom de la “réciprocité”. Il
a ainsi invité les puissances nucléaires, à commencer
par les Etats-Unis et la Chine, à ratifier le Traité d'interdiction
complète des essais nucléaires et à démanteler
leurs sites d'essais, comme la France.
Enfin, il a proposé l'ouverture de négociations
sur un traité interdisant la production de matières fissiles
à usage militaire, reprenant une proposition américaine
déposée en mai 2006 devant la Conférence du désarmement
de l'ONU à Genève mais resté lettre morte. Il a également
proposé de discuter d'un autre traité interdisant les missiles
sol-sol de courte et moyenne portée, que la France a déjà
rayés de son arsenal.
Sur ces questions, il n’y a rien à redire
aux propos de Nicolas Sarkozy. Il revigore la dissuasion par un flou de
bon aloi sur les intérêts vitaux de la France. Par ailleurs
il reprend sous une autre forme bien que moins explicitement, l'idée
d'une protection élargie à nos partenaires européens
du fait de l'existence même de notre capacité dissuasive.
Cela pourrait aller dans le sens préconisé ici, mais encore
faudrait-il le négocier avec nos partenaires, d’une façon
bien plus approfondie que celle consistant à lancer des idées
devant la presse.
En revanche, pour ce qui est des armements conventionnels,
le président annonce clairement des restrictions drastiques sur
un modèle d'armée à l’horizon 2015 qui n'avait
pourtant rien d'extraordinairement ambitieux pour un pays qui a la prétention
de jouer un rôle dans le monde. Rien n’a été
dit concernant la mise en chantier d’un second porte-avion pourtant
indispensable pour donner toute son importance au premier (à défaut
d’accord avec d’autres pays européens maritimes). Le
2 % “environ” du PIB consacré au budget de défense
se situe en fait plus près de 1, 7% que de 2 %. Il serait
évidemment irréaliste d’espérer obtenir de
nos partenaires une augmentation de leurs budgets de défense si
la France ne donne pas l’exemple. De toutes façons, comme
nous l’avons vu, le débat ne se place pas dans un premier
temps au niveau des budgets, mais à celui des ambitions et des
programmes destinés à les servir …à commencer,
rappelons le, par le spatial de défense.
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