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Comment l’évolution a-t-elle pu conduire au cerveau humain ? La théorie de la vie présentée par Gilbert Chauvet (Voir Chapitre 2, section La présente section, comme la précédente, s’inspire directement du travail de Gilbert Chauvet, à qui elle a été soumise.) fondée sur la double organisation structurale et fonctionnelle des êtres vivants et de leurs inter-relations, permet-elle d’obtenir une interprétation des concepts d’apprentissage, de mémoire, d’intelligence, et en particulier de celui de conscience ? L’organisation fonctionnelle, de nature mathématique, est définie par l’auteur comme la distribution des puits selon les interactions fonctionnelles élémentaires à un niveau donné de la hiérarchie. Il s’agit de dénombrer les puits qui correspondent à une interaction fonctionnelle, en d'autres termes, de savoir dans combien de puits chaque produit émis par une source va « tomber » ! La relation structure-fonction est alors clairement établie comme la relation organisation structurale - organisation fonctionnelle. Comment une propriété particulière peut-elle « émerger » de l’organisation fonctionnelle ? Dans le cas particulier du cerveau, le problème est de déterminer comment une telle propriété peut émerger de réseaux de neurones réels, autrement dit, comment l’intelligence du mouvement émerge du cervelet et autres organes du système sensorimoteur, la mémoire cognitive émerge de l’hippocampe, et finalement la conscience du cerveau.
L’évolution peut s’expliquer par une série d’auto-associations stabilisatrices à l’origine de la double hiérarchie du système, structurelle et fonctionnelle. C’est aussi le cas du système « cerveau » constitué de réseaux de neurones réels. Un réseau de neurones réels, comme tout système d’un organisme vivant, dispose d’une organisation doublement hiérarchique, à la fois structurale et fonctionnelle. Comment de cette hiérarchie peut émerger une unité fonctionnelle ? On peut très schématiquement représenter les réseaux de neurones réels par des réseaux de neurones formels. On y voit apparaître des hiérarchies mettant en évidence des propriétés « émergentes », c’est-à-dire des propriétés qui apparaissent au niveau supérieur dans une nouvelle structure. L’un des avantages de la représentation hiérarchique est de conduire à une définition rigoureuse de ce que Gilbert Chauvet a nommé l’unité fonctionnelle, c’est-à-dire une unité structurale ayant sa propre fonction à un niveau supérieur de l’organisation. L’unité fonctionnelle assure donc une nouvelle fonction physiologique déduite mathématiquement des niveaux inférieurs. Elle a sa propre échelle de temps. La difficulté consistera à la reconnaître dans le système extrêmement complexe qu’est le cerveau. Pour ce faire, il faudra identifier les nombreux mécanismes qui permettent à l’information électrique de passer d’un neurone à l’autre (1).
Nous ne reprendrons pas ici la description de la route suivie par un influx nerveux, ou potentiel d’action (2). Ce sont les lois de la physique qui expliquent comment s’accomplit cette propagation, analogue à celle qui existerait dans un câble électrique. Mais il existe des milliards de neurones et des milliers de synapses par neurone avec une très grande possibilité de connectivité interneurones. Les mécanismes physiologiques agissant dans les neurones n’ont qu’un but : laisser passer rapidement un potentiel (en quelques millisecondes) et moduler ce transfert en en conservant une trace. Cette seconde opération, intervient sur une échelle de temps beaucoup plus longue que la première, de l’ordre de la minute à l’heure. On voit apparaître ici la hiérarchie fonctionnelle due à ce découplage temporel des dynamiques (G. Chauvet 1993). Chaque neurone réalise une intégration des signaux qui lui arrivent en provenance de diverses autres régions et pendant une certaine fenêtre de temps. On conçoit alors le nombre énorme de possibilités d’intégration grâce à la connectivité. L’intégration est à la fois spatiale et temporelle. A cause de leur complexité, on pourrait croire à l’impossibilité de démontrer une quelconque propriété de tels réseaux. Or, depuis une vingtaine d’années, les chercheurs ont trouvé les ingrédients à l’origine de l’apprentissage et de la mémorisation par ces neurones (J.A. Anderson et E. Rosenfeld, 1990). C’est là qu’interviennent les mathématiques. Considérons un réseau de neurones formels Chaque neurone posséde seulement deux propriétés : il somme les signaux d’entrée puis transforme cette somme ; il modifie l’entrée selon certaines règles dites « d’apprentissage » (D.O. Hebb, 1949). Ces deux seules propriétés d’un objet-neurone conduisent à un réseau de ces objets capable d’apprendre et de mémoriser. C’est une propriété d’essence mathématique, qui intègre les facteurs de transmission entre neurones à la suite d’une modification de leur structure. Ceci est appréciable pour le neurobiologiste théoricien qui obtient une propriété globale du réseau à partir de ses éléments. Un autre avantage la propriété de généralisation de tels réseaux dits auto-adaptatifs. Si on stimule le réseau avec un signal assez proche du signal appris, on obtient la même réponse ! D’où une flexibilité jamais obtenue avec un système physique, point de départ de nouvelles technologies comme la reconnaissance de la parole ou de l’image, et la naissance de la mémoire distribuée. Or cela se révèle vrai avec un neurone réel, pourvu de ses mécanismes physiologiques . Les deux propriétés macroscopiques du comportement de l’objet-neurone, qui sont suffisantes pour obtenir le comportement global du réseau de neurones formels, se retrouvent dans les mécanismes neuronaux réels et font de ce système un réseau réel capable d’apprendre et de mémoriser sous contraintes moléculaires ? Cependant les réseaux de neurones réels sont beaucoup plus complexes que les réseaux de neurones formels car ils respectent une architecture hiérarchique. Ils sont constitués de types cellulaires différents, avec des règles d'apprentissage résultant de toute une cinétique biochimique cellulaire, donc non imposées au système comme le sont les règles des réseaux artificiels (règles de Hebb). L’intégration de la dynamique physique à chacun des niveaux d'organisation, subcellulaire, neuronal et populationnel est ici nécessaire. La théorie du champ neural proposée par Gilbert Chauvet, adaptée de sa théorie des champs biologiques, intègre les mécanismes physiologiques. En chaque point, groupe de neurones, neurone, synapse, complexe canal-récepteur, existe une source locale qui, parce qu’elle est aussi un puits, a reçu les effets des autres sources par l'intermédiaire du champ. Cela correspond à des effets non locaux. Puis, la source a transformé ces effets pour les "projeter" ailleurs. Dans le cerveau, l’organisation fonctionnelle des neurones intègre le temps par la mémoire, l’espace par la non-localité. Un potentiel d’action émis en un endroit donné du réseau continu en produit un autre en un autre endroit à un instant ultérieur en passant par les niveaux d’organisation inférieurs que sont les canaux et les synapses (émission des neurotransmetteurs, diffusion, liaison au récepteur, conduction dendritique, sommation). La théorie mathématique du champ (3) permet de calculer la dynamique des potentiels, donc l’activité, en tenant compte de la traversée des niveaux d’organisation structurale. Ayant vu comment sont réalisés l’apprentissage puis la mémorisation, Gilbert Chauvet peut passer au niveau global du comportement cognitif à partir des mécanismes moléculaires, c’est-à-dire traiter de l’intelligence et même de la conscience. Pour un physiologiste théoricien comme lui, la question essentielle est de savoir si l’intelligence est une fonction physiologique. Autrement dit, si on peut l’expliquer à partir de l’anatomie et de la physiologie. Pour ne pas s’engager dans des discussions sans fins sur ce qu’est l’intelligence, il propose d’analyser l’ « intelligence du mouvement ». Le mouvement semble quelque chose de tellement commun qu’il apparaît comme inné. Mais lorsqu’on analyse ce qu’est le mouvement, on s’aperçoit de sa complexité et du nombre considérable d’éléments qu’il met en œuvre. Ainsi, le cervelet agit pour coordonner les mouvements fins, par exemple ceux du violoniste utilisant son archet. Ce sont les observations médicales qui l’ont enseigné. Placé en parallèle sur les grandes voies motrices volontaires et automatiques, le cervelet assure les meilleures performances possibles dans les réponses motrices à l’environnement. Pourquoi peut-on parler d’intelligence à propos du mouvement ? Quelles en sont les bases neurobiologiques ? Comment une explication plausible peut-elle être déduite des mécanismes physiologiques et des données anatomiques ? Plus directement, comment donner une explication à partir de l’intégration des mécanismes ? Le cervelet, comme son nom l’indique, est un « petit cerveau ». Il est situé à la partie postérieure de celui-ci et est constitué d’un cortex (le cortex cérébelleux) et de noyaux (les noyaux du cervelet). Les cellules du cortex cérébelleux sont disposées de façon très régulière, elles reçoivent des signaux de la périphérie par l’intermédiaire de « senseurs », elles les transforment et les envoient vers les noyaux centraux du cervelet, ces derniers les envoyant à leur tour vers le système moteur. Le cortex cérébelleux constitue un réseau de réseaux de neurones, et s’organise, de ce fait, en un système structuralement hiérarchisé. A chaque cellule de Purkinje est associé un réseau de neurones appelés cellules des grains. A la taille imposante des premières, en particulier de leur majestueux arbre dendritique, s’oppose la petitesse des innombrables cellules des grains dont les axones qui sont les fibres parallèles courent sur plusieurs millimètres le long du cortex en « faisant synapse » avec plusieurs cellules de Purkinje. Peut-on dans ces conditions démontrer les propriétés d’apprentissage et de mémorisation de trajectoires, et par suite, de la coordination des mouvements ? Peut-on ainsi expliquer pourquoi le cervelet permet de coordonner des mouvements fins et rapides ? Il est clair que le résultat observé, à savoir la coordination, doit résulter de l’intégration des mécanismes. Comme l’a montré Gilbert Chauvet (G. Chauvet, 1995), il faut mathématiquement découvrir l’unité fonctionnelle siège de la (ou des) propriété (s) émergente (s). Dans ce domaine, seule l’approche mathématique permet l’intégration, au sens strict de ce terme.
L’intelligence pouvant être abordée dans le cadre de la théorie des interactions fonctionnelles de Gilbert Chauvet, est-il possible d’avoir une interprétation de la conscience dans ce même cadre ? Pour cela, il faut d’abord une définition mathématiquement opérationnelle de la conscience. Quatre axes paraissent nécessaires pour la définir : - la conscience est réflexive, en ce sens qu’elle permet de se reconnaître dans l’autre ; - la conscience doit émerger des processus cérébraux. Comme l’intelligence, elle est un phénomène biologique, une caractéristique du cerveau ; - la conscience doit résoudre le problème du passage du phénomène objectif physique au phénomène qualitatif subjectif privé (ce qui est appelé « problème des qualia »). - la conscience ne peut être un programme d’ordinateur. Il ne s’agit pas de l’exécution toujours identique d’un programme écrit à l’avance par un programmeur extérieur au système. La première propriété parait la plus importante. En effet, la reconnaissance de soi est la faculté de se prendre comme son propre objet d’observation, et par conséquent d’avoir connaissance de ses propres états mentaux. Elle permet donc de se mettre à la place de l’autre, de faire cette distinction entre le soi et le non-soi. On peut alors se représenter (et non savoir) ce que l’autre pense. C’est la « conscience-miroir ». Elle apparaît à des degrés divers chez les organismes supérieurs, et en particulier chez les singes (Voir ci après, section 6.). Dans le cadre de la théorie proposée par Gilbert Chauvet, on se trouve là face à une rupture. On a ici une interaction avec soi-même par l’intermédiaire des autres. Il existe une interaction fonctionnelle entre une unité, le cerveau, avec lui-même, à travers d’autres unités, sans transformation dans ces autres unités. L’interaction fonctionnelle est donc symétrique, à ce niveau supérieur de l’organisation Elle possède une propriété très différente de ce que l’on a observé partout chez l’être vivant, et devrait par conséquent être à l’origine d’un comportement très particulier. Des champs neuro-hormonaux couplent les sécrétions hormonales dans le cerveau à l’activité électrique (G. Chauvet, 1996). Ces champs dépendent de la topologie du cerveau et de sa géométrie. Ils interviennent donc nécessairement dans la genèse de la conscience. Comme ils représentent la dynamique d’interactions fonctionnelles non locales et non symétriques, ils contiennent un opérateur de champ (4) non local et non symétrique. Mais alors, comment peut être générée une solution symétrique sachant que les processus cérébraux sont des solutions d’équations de champ non symétriques (et non locales) ? Comment est réalisée cette rupture de la non-symétrie lorsque la conscience apparaît ? La théorie proposée par Gilbert Chauvet est une théorie causale événementielle, car elle repose sur une représentation du système biologique en termes d’interactions fonctionnelles Source ? Puits (transformation), c’est-à-dire un ensemble d’événements dont l’existence des retards est une manifestation. Toute transformation dans un puits est le résultat de l’émission par une source qui est donc la cause du phénomène observé dans le puits. C’est là le propre de la causalité événementielle. Or d’une part, au niveau du comportement collectif créé par l’unité fonctionnelle « cerveau », la non-symétrie de l’interaction fonctionnelle agit de façon réflexive par rapport à une autre unité « cerveau » en créant la distinction soi/non-soi. D’autre part, la causalité événementielle devient par rupture de la non-symétrie une causalité non-événementielle La conscience apparaît donc comme une caractéristique du cerveau, décrite par une théorie physique. La conscience n’est plus une propriété physiologique. Elle devient - ou redevient - une propriété non-physiologique, appartenant au monde physique. Évidemment, une question découle immédiatement de cette analyse. Comment la conscience, caractéristique du cerveau satisfaisant à des propriétés causales non événementielles, peut-elle être déduite dans le cadre d’une théorie causale événementielle ? Il faut bien que la conscience, en raison de sa nature ontologique à la première personne, présente un problème théorique fondamental. Ce problème fondamental sera en partie résolu lorsque le problème de la rupture de non-symétrie sera résolu. Dans ces conditions, quelle pourrait être la solution au problème de la conscience, qui est celui de la rupture de la non-symétrie dans l’organisme ? Autrement dit, comment déduire une propriété symétrique des processus issus d’interactions fonctionnelles non symétriques du cerveau ? Donnons quelques idées de solution. Gilbert Chauvet suggère une première voie, qui fait actuellement de sa part l’objet d’une formalisation mathématique non encore publiée (voir encadré ci-après)
Une autre voie serait de rattacher la conscience directement à la matière physique (quantique) comme le propose Roger Penrose (Roger Penrose. Les deux infinis et l’esprit humain. Flammarion 1999). Mais dans ce cas, il existerait sans doute une relation avec la solution précédente, relation qui lèverait l’impossibilité de la décrire dans notre représentation des fonctions physiologiques. Là encore, le temps de la conscience serait le temps uniforme de la physique newtonienne et non celui, non-uniforme, de la physiologie, avec ses échelles de temps différentes associées à chaque fonction. Certains lecteurs seront sans doute déçus par cette explication, qui semble exclure la conscience de l’application de la théorie de la vie proposée par Gilbert Chauvet. Ne sera-t-on pas obligé, sauf à en revenir aux explications spiritualistes, de chercher dans le monde physique des causes « exotiques » au « hard problem » de la conscience, comme l’ont fait et continue à le faire de nombreux chercheurs. Mais pour Gilbert Chauvet, il n’en est rien. Pour lui, la conscience s’inscrit dans sa théorie, mais elle exige de la prendre à l’envers, si l’on peut dire. Cela traduit bien le fait que la conscience reste pour les scientifiques une propriété exceptionnelle. A propriété exceptionnelle, solution exceptionnelle. Bien évidemment, Gilbert Chauvet est le premier à reconnaître qu’il lui faudra préciser ses intuitions - ce qu’il est d’ailleurs en train de faire. 1 : Ces mécanismes sont construits sur des structures révélées par les recherches anatomiques, différentes les unes des autres. On perçoit la difficulté de mener ces recherches neuroanatomiques et neurophysiologiques avec des dimensions de l’ordre du micron (10-6 m) pour le neurone, alors qu’il existe des milliers de synapses par neurone, et que les canaux membranaires ont la taille de grosses molécules. 2 : Ce phénomène peut être facilement simulé numériquement en utilisant les équations qui le décrivent, et dont A. Hodgkin et A. Huxley (Hodgkin and Huxley 1952) ont donné l’interprétation jusqu’à maintenant toujours vérifiée. On connaît désormais la raison de ce comportement dit en « tout-ou-rien », donné par les non-linéarités mathématiques de ce système d’équations. 3 : Théorie mathématique du champ à n niveaux avec son formalisme des S-Propagateurs. Avec une théorie mathématique, un formalisme (mathématique) est nécessaire pour manipuler les concepts qui sont à la base de cette théorie. Ce formalisme associé à la théorie du champ dans une organisation hiérarchique manipule des opérateurs qui représentent le transport d’ions ou de molécules à travers les niveaux de l’organisation structurale. D’où le nom qu’il a donné à ces opérateurs : les S-propagateurs. 4 : Un opérateur
de champ est un algorithme permettant de calculer les valeurs définies
par un champ, ici le champ neuro-hormonal. |
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