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Le terme de Mara signifie gang en argot salvadorien. Il dérive du nom de certaines fourmis connues pour leur férocité, les « marabunta ». Salvatrucha signifie dans ce même argot « prêt au crime ». Le gang est apparu au grand jour dans les années 1970-1980 à Los Angeles, chez des émigrés d’Amérique centrale, Salvador, Guatémala, Honduras. Mais ses racines étaient plus anciennes, autour d’activités criminelles organisant le pillage des transports ferroviaires et routiers, ainsi que la contrebande d’armes et de drogues. Le propre du MS13, aujourd’hui, est de s’être spécialisé dans le racket des activités économiques se pratiquant sur des territoires assez étroits, les quartiers urbains où il décide de s’implanter. Le racket, en l’espèce, est l’extorsion de fonds aux habitants d’un quartier, sous couvert d’une protection contre la terreur que le gang organise lui-même. Tout est matière à racket, depuis la vente de cacahuètes jusqu’au commerce de drogues, en passant par les activités commerciales courantes. Les extorsions semblent rapporter des sommes importantes, dont une part sert à la corruption des rares forces de l’ordre, et dont l’autre permet aux chefs de s’offrir des consommations jugées prestigieuses, armes sophistiquées, voitures de luxe, bijoux et prostituées. Le racket n’est évidemment pas le monopole du MS13. Les mafias d’origine italiennes implantées à partir du 19e siècle aux Etats-Unis le pratiquaient et le pratiquent encore à grande échelle. Mais ces grandes mafias, qui se rencontrent dans le monde entier, sont de véritables entreprises internationales, généralement dirigées par des familles ne se cachant pas. Le MS15 au contraire est décentralisé et quasi artisanal, constitué de cellules autonomes. Il fonctionne en réseau, ce qui le rend très virulent et insaisissable. Chaque gang se crée et s’organise sur une base locale, en n’ayant que peu de relations avec les autres. On a parlé d’une contamination sur le mode viral. Les gangs se rattachant à ce nom sont présents dans les grandes villes d’Amérique centrale et d’au moins 33 Etats américains. Ils regroupent 50.000 membres en Amérique et près de 10.000 aux Etats-Unis. On estime que leur nombre ne cesse de croître... Les services de police avaient pensé leur trouver des liens avec la mafia mexicaine et même avec Al Quaïda, mais cela n’a pu être prouvé à ce jour. Les gangs de quartier reposent sur quelques centaines d’individus, souvent très jeunes, mais cependant très dangereux car pratiquant une violence brutale et non contrôlée. Les membres du gang sont dans une écrasante majorité des garçons, à l’exception de quelques filles ayant adopté le mode de vie et la brutalité virile indispensables à la survie. Le recrutement se fait sur une base ethnique et linguistique, presque exclusivement chez les métis d’origine indienne se reconnaissant eux-mêmes comme « latinos » fiers de l’être. Mais la contamination ne touche pas seulement les enfants des rues. Le gang recrute dorénavant dans les écoles primaires et même les lycées. Le fonctionnement du gang repose sur les grands moteurs de la constitution des groupes humains primitifs, généralement communs avec ceux des groupes animaux : pouvoir absolu du chef et de ses lieutenants, attachement féroce au territoire dont sont exclus tous les rivaux, discipline stricte dont les écarts sont punis de mutilations ou de mort. Les bénéfices des activités économiques, c’est-à-dire du racket, sont inégalement partagés dans l’ordre inverse du pouvoir hiérarchique. Les filles et femmes sont généralement considérées comme des biens économiques qui doivent être exploitées sans pitié. Tous les groupes et individus n’appartenant pas au gang sont vus comme des rivaux et des adversaires, qu’il s’agisse des gangs actifs sur les territoires voisins, des habitants du quartier et, bien sûr, des représentants de l’administration, quand certains osent manifester leur présence. Il semble indiscutable que les déterminismes génétiques soient prédominants dans la commande de ces divers comportements. Ils agissent sur le long terme de l’histoire du gang, en assurant sa survie et sa reproduction. Ainsi, lorsque des membres du gang sont incarcérés, ils reconstituent immédiatement en prison des filiales qui souvent poursuivent leurs activités avec la complicité des gardiens. Il en est de même quand un membre important du gang est conduit à changer de ville. La reconduite à la frontière pratiquée désormais systématiquement par les autorités des Etats-Unis a pour effet de revivifier le gang dans les cités d’Amérique latine dont il était originaire. En ce qui concerne l’influence sur la vie du gang des comportements génétiquement transmis, il faut noter une différence importante par rapport à ce qui se passe dans les groupes tribaux traditionnels : ni les enfants ni la famille n’y représentent une valeur, contrairement à ce qui est le cas dans les mafias d’origine italienne. Il est vrai que les membres sont si jeunes et vivent si peu de temps qu’ils ne peuvent espérer se marier et avoir des enfants qu’en quittant le gang. Or cette perspective leur est pratiquement interdite. Se superposant aux gènes, les mèmes interviennent en permanence et sur le court terme dans la vie du gang. Ils y prospèrent dans des interactions avec les gènes prenant la forme de feed-backs positifs ou de renforcement. Les mèmes se déploient sous toutes les formes symboliques permises par des technologies rustiques mais efficaces. Le territoire est balisé par des tags omniprésents et constamment renouvelés pour marquer l’omniprésence du gang. Peu de lieux y échappent. Effacer un tag est considéré comme un crime. Les membres sont pour leur part couverts de tatouages et de mutilations rituelles aux significations précises. Ces signes marquent définitivement leur appartenance au gang, car ils sont très difficiles à effacer. Les membres pratiquent par ailleurs, outre un argot spécifique, des langages par gestes qui semblent assez riches et qui sont, par définition, incompréhensibles aux étrangers. Le téléphone portable est désormais indispensable, avec ses propres codes. Nous avons indiqué précédemment que l’usage des stupéfiants et hallucinogènes est un facteur déterminant dans la création des mèmes et dans la soumission à leur influence. Cela se vérifie dans le cas des gangs urbains. La facilité avec laquelle ils recrutent de nouveaux membres, âgés parfois d’à peine une dizaine d’années, comme celle avec laquelle ils se font obéir, tient au fait que les membres sont sans exception dépendants de drogues plus ou moins fortes qui annihilent leurs capacités à raisonner selon les normes de leur milieu d’origine. Ainsi, le meurtre ou des agressions contre la police ne pouvant avoir la moindre chance de réussir sont exécutés sans discussion. Les gangs latino-américains n’ont pas encore appris à pratiquer les attentats suicides mais on peut penser que le même correspondant viendra les contaminer assez vite. En ce qui concerne le rôle des mystiques religieuses, il semble que les gangs urbains tels que le Mara ne soient guère pénétrés d’idéologies religieuses. Leur christianisme d’origine paraît lointain pour eux. La véritable religion, hypostasiée en mythe sous l’influence des hallucinogènes et des dangers courus en commun, semble plutôt celle du groupe et du chef avec, à l’opposé, une véritable diabolisation de tout ce qui n’est pas le groupe. - Le lecteur fera de lui-même la transposition de ce qui précède au cas des milices nationalistes et religieuses s’étant multipliées au Moyen-Orient consécutivement à l’invasion de l’Irak par les Occidentaux. Mais, comme rappelé précédemment, on peut penser que sans la politique délibérée d’exploitation des ressources pétrolières du Moyen-Orient par le monde occidental, les affrontements entre nationalismes de la région auraient pris des formes plus douces. Par contre, le cas des bandes de plus en plus actives dans les zones dites de non-droit des banlieues européennes relève d’analyses voisines de celles appliquées au Mara, bien que non directement transposables. La composante religieuse y joue certainement un rôle plus grand. - A partir de 2005, Interpol et les polices européennes signalent dans les villes espagnoles ou possédant des minorités hispano américaines importantes l’apparition de filiales du Mara, recrutant semble-t-il très facilement, sous le nom de Latin Kings. La rapidité de leur développement inquiète. Un dernier point doit être signalé, concernant
le MS15 comme beaucoup d’autres gangs urbains des trois Amériques.
En résultat de l’impuissance des polices officielles à
les éradiquer, des Escadrons de la Mort, formés d’autant
de policiers agissant clandestinement que de gangsters d’autres
origines pratiquent de plus en plus systématiquement des «
exécutions » présentées comme indispensables
au rétablissement de la paix sociale. Les « bons citoyens
» s’en réjouissent le plus souvent, mais ils ont tort
de le faire car ces Escadrons ont vite fait de se transformer en milices
politiques d’extrême droite régnant à leur tour
par l’exaction et la terreur. |
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