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Tout laisse penser que si les guerres pour les ressources naturelles vitales se généralisaient, en conséquence de l’égoïsme des pays riches et de la croissance démographique des pays pauvres, qui ne ralentira pas avant 2100, elles seront bien différentes des guerres connues par l’humanité durant le 20e siècle. Elles prendront des formes nouvelles, d’ailleurs aussi cataclysmiques. Celles-ci commencent à être étudiées sous le nom de guerres de 4e génération. Il s’agit nous l’avons dit d’une hypothèse ultra-pessimiste, qui ne se vérifiera peut-être pas. Mais les matérialismes doivent l’envisager et s’y préparer, car leur stoïcisme sera mis alors à rude épreuve. Le concept de Guerre de 4e génération, G4G,
a été inventé par les stratèges américains
(William Lind, directeur du Center for Cultural Conservatism au sein du
think-tank Free Congress Foundation, à Washington) pour définir
les nouvelles formes de guerre qu’impose la résistance irakienne
à une armée traditionnelle telle que la leur. Il faut toujours
se méfier de la façon dont la superpuissance américaine
se représente le monde, car c’est souvent aussi une façon
d’obliger les « vassaux » à penser comme elle
et à la rejoindre dans sa lutte pour maintenir sa domination. Cependant,
l’enlisement américain en Irak et les menaces de guerre civile
en découlant, les nouveaux développements pris par le conflit
entre Israël et ses voisins marqué par le déclenchement
en juillet-août 2006 d’une véritable guerre, sur le
mode de ce qui se passe en Irak, entre le Hezbollah libanais et Israël,
obligent à reprendre ce concept de G4G. Comment donc le définir
? Est-ce qu'il recouvre ce que désignait jusqu’à ce jour le terme de « guerre asymétrique » ? Celui-ci fut créé par le général américain Wesley Clark, lors de l'intervention de l'OTAN au Kosovo, dans un article traitant de la seconde Intifada, écrit pour Time Magazine. D'une façon générale, une guerre asymétrique est une guerre du faible au fort, engageant des milices ou des organisations terroristes non étatiques contre des forces policières et militaires étatiques. Elle se distingue des guerres entre Etats qui se déroulent dans un cadre juridique défini depuis longtemps et censé, tel la Convention de Genève, assurer un minimum de protection aux populations civiles, aux prisonniers de guerre, aux blessés, etc. Elle se distingue aussi d'une guerre dissymétrique où s’affrontent deux Etats dont les forces de l’un sont nettement inférieures à celles de l’autre, ce qui impose au premier des actions ne relevant pas nécessairement du droit de la guerre, comme des sabotages. Un exemple de ce dernier type de conflit est fourni par la dernière guerre américaine au Viêt-Nam. Le concept de guerre asymétrique a été repris par les stratèges européens, notamment par Jacques Baud (La guerre asymétrique ou la défaite du vainqueur, l'art de la guerre, Editions du rocher, 2003) dont l’ouvrage fait encore référence. L’auteur y insiste sur l’utilisation par les adversaires de tous les espaces disponibles, notamment l'espace humain (l’opinion publique), l'espace terrestre, l'espace aérien, l'espace hertzien (la communication et les médias). Le partenaire militairement faible, dans ce type de guerre, compense son infériorité en capacités par un usage intensif et peu pratiqué encore par les grands Etats d’actions violentes capables de rallier à sa cause les populations civiles et les opinions publiques, à l’échelle du monde entier lorsque cela est possible. Le droit traditionnel de la guerre est alors inévitablement violé. Mais en principe les belligérants évitent de procéder à ce que l'on nomme aujourd'hui des "crimes contre l'humanité". S'ils le font, ils encourent, outre une réprobation générale, des poursuites devant d’éventuels "Tribunaux Pénaux Internationaux", quand ceux-ci existent et sont reconnus. Des condamnations morales à l'ONU sont aussi possibles. Tout cela, il est vrai, n'arrêtera pas les plus radicaux des belligérants. Qu’apporte alors de nouveau le concept de G4G ? On peut dire qu’il s’agit d’une véritable guerre, mobilisant d’importants moyens militaires et psychologiques, où s’affrontent des Etats et des puissances non étatiques capables de mobiliser des foules importantes à partir de motivations idéologiques, généralement nationalistes et religieuses, recouvrant le plus souvent des affrontements économiques et géostratégiques. C’est toujours, au moins au début, une guerre du faible au fort mais l’ambition du faible, dans ce cas, est de détruire les capacités du fort pour l’obliger à se retirer du conflit. Asymétrique au départ, la guerre en ce cas tend à devenir symétrique en pratique, les adversaires équilibrant leurs forces. Les plus ambitieux des faibles visent même à détruire les forts pour devenir forts à leur place. Le danger présenté par le concept de G4G
est de conduire à radicaliser les affrontements. Il évoque
la perspective de la guerre des civilisations, confrontant le monde occidental
riche (dit par ses adversaires monde chrétien) et le monde musulman
pauvre. Beaucoup de stratèges américains, notamment chez
les néo-conservateurs, rêvent sans doute d’une telle
guerre des civilisations, dont ils espéreraient sortir vainqueur.
Les musulmans fondamentalistes encore plus, puisque de la destruction
du monde occidental ils espèrent voir surgir le nouveau messie
qu’ils attendent, dit aussi l’imam caché. Les Européens
au contraire refusent énergiquement la perspective d’une
guerre des civilisations, non par lâcheté mais sans doute
parce qu’ils sont un peu plus « civilisés » que
ceux prônant comme certains millénaristes américains
une culture de l'anéantissement généralisé.
La spécificité de la civilisation européenne est
en effet la coexistence aussi pacifique que possible des nationalités,
des religions et des ethnies, au sein de sociétés laïques
et tolérantes. Dans une guerre des civilisations ouverte, la civilisation
européenne perdrait l’essentiel de sa spécificité
et peut-être même y laisserait-elle son existence. - une guerre entre des Etats militairement forts et des mouvements de résistance de type milice luttant contre ces Etats, soit pour « libérer » des territoires occupés par eux, soit pour limiter les ambitions territoriales ou économiques de ces Etats. Aujourd’hui, au Moyen-Orient, les deux Etats forts, disposant de moyens conventionnels et atomiques considérables, sont les Etats-Unis et Israël. Leur principal tort, aux yeux de leurs adversaires, outre leur super-puissance, est d'être des forces d'occupation. C'est indéniable dans le cas des Etats-Unis. C'est plus discutable dans le cas d'Israël, installé en Palestine depuis longtemps, mais c'est vécu comme tel par les opinions arabes. Les principales mouvances de résistance sont les milices principalement sunnites mais aussi chiites en Irak, le Hamas en Palestine, le Hezbollah au Liban. Une façon simple d’éviter les guerres générant des conflits territoriaux ou obligeant des ethnies ou nationalismes différents à s’affronter serait de ne pas envahir les territoires des autres et de ne pas se mêler de les réformer. C’est pourtant ce que les Etats-Unis cherchent encore à faire avec leur projet de Grand Moyen-Orient mettant en place, sous prétexte de réformes pour la démocratie, des gouvernements sous leur influence. - une guerre engageant, au-delà de milices relativement organisées, des groupes de type gang urbain (Voir chapitre 7, le gang MS13) agissant pour de simples motifs crapuleux ou pour des motivations religieuses et ethniques surajoutées. Ces actions, provenant des banlieues urbaines où les gouvernements auront laissé s’installer des zones de non-droit, comme c’est le cas aux Etats-Unis et de plus en plus en Europe, seront très difficiles à prévenir. Leur généralisation serait catastrophique pour la paix civile. - une guerre faisant appel à des interventions en sous-main, sous forme notamment de fourniture de matériel militaire, par des Etats officiellement neutres mais qui pour renforcer leur poids international cherchent à affaiblir la puissance dominante (représentée dans le cas du Moyen-Orient par les Etats-Unis et accessoirement Israël). Les matériels fournis peuvent être très sophistiqués, à la hauteur, qualitativement sinon quantitativement, de la plupart des armements utilisés par le fort. On a vu ainsi le Hezbollah utiliser des missiles de moyenne portée et des drones. Ces matériels et leur assistance technique proviennent nécessairement de l’Iran ou de la Syrie et sans doute de plus loin encore. - une guerre susceptible de s’étendre en recrutant des Etats ou des forces jusqu’à présent peu engagés. Le spectre de la guerre des civilisations peut alors légitimement être redouté. Mais son fondement ne sera pas religieux. Il sera géopolitique, sous forme d’un combat destiné à accroître l’influence d’Etats s’estimant jusqu’à présent injustement reconnus par les superpuissances. Aujourd’hui, les Etats susceptibles, dans un premier temps, de s’inscrire directement dans les conflits au Moyen-Orient sont la Syrie et l’Iran. L’internationale Al Qaïda, jusqu’ici semble-t-il peu présente, s’efforcera elle aussi de profiter du conflit pour étendre son emprise dans les pays de la zone. Elle essaiera également de mobiliser des minorités terroristes dans d’autres Etats du monde afin de les déstabiliser, notamment les Etats arabes dits modérés, le Pakistan, l’Indonésie et les Etats européens. - une guerre visant en priorité les civils et l’effet de rejet que provoquent dans les opinions mondiales les reportages sur les morts, les blessés et les destructions affectant les populations. L’objectif de ceux qui commettent ces agressions est de rallier à leur cause (par la peur ou à l’opposé par l’indignation) les civils touchés et plus généralement les opinions mondiales. Le fort hésite en général à utiliser ce type de moyen, mais le cas échéant il le fait sans l’avouer. Israël l’a montré en 2006 en bombardant massivement le Liban chiite. Les faibles au contraire usent et abusent des attentats terroristes dont les victimes sont principalement civiles. Là encore, s’en prendre aux civils ne fait que radicaliser les affrontements et précipiter les pacifistes dans les bras des extrémistes. - une guerre où progressivement, les capacités militaires du fort se trouvent enlisées dans une guérilla incessante où les armes mêmes sophistiquées perdent une grande partie de leur efficacité. Cette guérilla est d’autant plus efficace que ceux qui la mènent ont pu accumuler les capacités modernes fournies précédemment par des Etats officiellement non engagés dans le conflit, comme indiqué ci-dessus. On voit actuellement s'élever le niveau technique des armements utilisés. Dès que le Hezbollah, l’Iran ou tous autres « faibles » disposeront de missiles stratégiques, ils deviendront militairement difficilement contournables. D’ores et déjà, les « simples » Katyushas paraissent difficiles à parer. Les systèmes anti-missiles américains de type Patriot, sur lesquels les Israéliens comptaient au début du conflit avec le Hezbollah, se sont montrés impuissants. Le fort est alors tenté de monter dans l’échelle des rétorsions, jusqu’à envisager l’arme suprême, représentée en ce cas par des frappes nucléaires tactiques. Il paraît clair que si le fort, Etats-Unis ou Israël en l’espèce, se laissait aller à cette tentation, la désapprobation mondiale serait si grande que des Etats nucléaires jusqu’ici en retrait, comme le Pakistan et la Chine, pourraient mobiliser contre eux, directement ou indirectement, des moyens atomiques dans le conflit. Celui-ci en ce cas se mondialiserait de façon cataclysmique. - une guerre qui s’accompagne, dans les pays où elle se déroule et souvent, par contagion, dans les régions voisines, d’une dissolution de la structure sociale traditionnelle. Les affrontements interethniques ou interconfessionnels se multiplient. Plus grave, les activités de prédation, exercées par toutes les forces en présence, y compris les armées officielles, épuisent les ressources locales. Des organisations mafieuses locales ou internationales accaparent les richesses encore disponibles (notamment le pétrole) et terrorisent les populations. A long terme, ce seront sans doute ces organisations criminelles qui seront les grandes gagnantes de la guerre. - une guerre enfin, last but not least, où l’un des clans fait, de façon unilatérale, appel aux « combattants suicides ». Les combattants suicides sont une nouvelle donnée caractérisant de plus en plus la G4G, dans la mesure où leur emploi se généralise. Certes la Japon impérial avait donné l’exemple avec les kamikazes, annoncés d’ailleurs, on l’oublie trop souvent, par le sinistre Viva la muerte du général franquiste Milan Astray, s'adressant au philosophe espagnol Miguel de Unamuno. Mais on pouvait penser que, sauf exceptions, les combattants de la seconde partie du 20e siècle seraient trop attachés à leur propre vie pour la sacrifier délibérément, y compris pour la patrie. Or ce n’est pas le cas. La G4G opposera de plus en plus deux types de sociétés. D’une part celles où la vie individuelle (elle-même assez confortable pour être vécue) représentera une valeur suffisante pour décourager les vocations au sacrifice suprême, d’autant plus que le recul de la religiosité ne permettra pas de faire du saut dans la vie éternelle un véritable produit d’appel. D’autre part les sociétés où la mort au combat, de préférence volontaire, continuera à représenter la valeur suprême. On pense habituellement que c'est le fanatisme religieux qui pousse les terroristes à la mort. Il est certain que la religion joue un rôle. La mort au service de Dieu garantit en effet au combattant de la foi, selon les discours des imams engagés, non seulement la fusion avec la divinité mais les jouissances et les richesses que la vie terrestre rend de plus en plus difficile à obtenir. Observons que les chefs de guerre qui promettent ces félicités aux combattants-suicide se gardent bien de donner l’exemple. Ils recherchent au contraire à s’approprier les biens matériels des sociétés qu’ils combattent, afin d’en profiter le plus longtemps possible ici bas, eux et leurs proches. Cela étant, des études récentes montrent que c'est tout autant le sentiment national en révolte contre les occupants qui pousse beaucoup de militants à des attentats suicides ou qui les conduit à se laisser tuer sur place dans les engagements. On retrouve alors une forme de patriotisme louée très haut en Occident du temps des guerres des 19e et 20e siècles : "mourir pour la patrie est le sort le plus beau, le plus digne d'envie". Avec les missiles à longue portée, d’éventuelles armes de destruction massive et une réserve illimitée de combattants suicides, les faibles initiaux ne sont-ils pas en train de se doter d’armes absolues capables de neutraliser les armées les plus technologiques ? Plus généralement, ne se rapproche-t-on pas vraiment de la guerre des civilisations redoutée (1) ? Le nombre de ceux prêts à se sacrifier pour leur foi ou pour détruire un adversaire présenté comme exerçant une force injuste est sans doute grand. Il le sera de plus en plus car le niveau de vie mondial ne s’améliorera pas suffisamment vite pour décourager les actes de désespoir, lorsque ceux-ci seront provoqués par la misère et l'impuissance face à un ennemi trop fort. Même si ce scénario noir ne se généralisait pas, la 4G4 obligerait à réagir dès maintenant l’Union Européenne et les Etats européens qui comme la France refusent les guerres de religions au nom de la laïcité et souhaitent continuer à jouer un rôle d’apaisement au Moyen-Orient. Quelle attitude avoir vis-à-vis des belligérants ? Comment éviter d’être entraînés dans la guerre menée par les forts ou d’être contaminés par celle des faibles ? Comment intervenir, pacifiquement et le cas échéant militairement, si le besoin s’en faisait sentir ? Comment faire, à plus long terme, pour que chacun reste chez soi et ne se mette pas en tête de conquérir les territoires des autres ? Comment lutter contre ces véritables virus de l’esprit que sont les appels aux formes suicidaires de combat ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que les stratèges militaires et diplomates européens sont encore loin d’avoir pris la mesure des difficultés qui s’amoncellent. Les gouvernements européens n’ont pas non plus les moyens humains et militaires de leurs ambitions d’interposition, à supposer qu’ils s’entendent pour intervenir en faveur d'une paix négociée entre partenaires. 1 : Rappelons que le concept
de guerre des civilisations avait été popularisé
par le politologue américain Samuel Huntington, dans un ouvrage
devenu célèbre : The clash of Civilisations and the Remaking
of World Order 1997 (Simon and Schuster). Les Européens n’avaient
pas remarqué que, dans ce livre, Huntington mettait en garde contre
l’affrontement, non seulement avec le monde musulman, mais avec
les sociétés confucianistes, c’est-à-dire globalement
la Chine. Comme dans un ouvrage ultérieur, Who Are We? The
Challenges to America's National Identity, il a pronostiqué
la subversion de la société américaine traditionnelle,
WASP, par un catholicisme latino-mexicain inassimilable, on comprend qu’il
soit devenu le prophète de la défense la plus extrême
de la prétendue Identité de l’Amérique. |
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