Compléments du livre |
|
Retour au sommaire |
Ce
texte - écrit en commun avec Christophe Jacquemin* - présente
et discute l'ouvrage de Jacques Attali, Une brève histoire de l'avenir.
Une brève histoire de l'avenir
Vertigineuse scintillance de l'à-peu-près Le dernier livre de Jacques Attali, Une brève histoire de l'avenir, serait déjà semble-t-il un grand succès de librairie. Cela se comprend. Si l'ouvrage comporte 420 pages, il est écrit de façon très simple (et en gros caractères) permettant le cas échéant une lecture rapide. Il ne s'agit en rien d'une thèse scientifique mais d'un très gros article journalistique, dans le style d'ailleurs des précédents ouvrages de l'auteur. Ses vues sur l'avenir sont suffisamment dramatisées pour soutenir l'attention. Pourquoi le discuter ici ? Parce que, dans notre propre livre, nous avons évoqué les travaux des futurologues français et étrangers qui s'efforcent de prévoir l'avenir, notamment en tenant compte de l'évolution probable des sciences et des technologies. Certes, les prévisions ont beaucoup de chances de se révéler fausses. Jacques Attali ne manque pas, et il a raison, de nous le rappeler. Mais il serait dangereux et d'ailleurs impossible de fermer les yeux sur l'avenir sous prétexte que le regard se perd vite dans les brumes de l'incertitude. Ceci n'est pas une raison pour considérer comme incontestablement scientifiques les prévisions de ce genre. Pas plus, comme nous allons le voir, celles d'Attali que d'autres. Le mérite du livre consiste à rassembler et mettre en perspective un grand nombre de données, généralement dispersées dans de nombreux livres et articles que le lecteur n'a pas nécessairement la possibilité de consulter. Il s'agit d'abord de celles concernant le passé. Dans ses précédents ouvrages, Jacques Attali a proposé des synthèses brillantes concernant l'histoire de l'Europe, notamment sous l'angle économique et financier. Les deux premiers chapitres reprennent ce thème, en l'étendant à l'histoire du monde. Celle-ci est survolée depuis les temps préhistoriques jusqu'à la seconde guerre mondiale. L'auteur, qui ne craint pas les simplifications, montre que l'ordre marchand, c'est-à-dire celui du capitalisme libéral, s'est progressivement substitué aux ordres précédents, ceux des religions et ceux des empires. Cet ordre marchand lui-même a connu neuf (?) formes successives, en fonction des technologies développées à chaque époque. Ces formes se sont construites autour de ce qu'il appelle des « villes-coeurs »(1). Chaque fois qu'une ville-coeur en remplaçait une autre, grâce à la maîtrise d'une nouvelle technologie et au développement des réseaux industriels et commerciaux correspondants, elle se portait davantage à l'ouest, là où se trouvaient de nouveaux espaces à exploiter. Les coeurs ont dont migré de Bruges au XIIIe siècle jusqu'à Los Angeles aujourd'hui. La prospective proprement dite commence au 3e chapitre, qui annonce, avec les précautions de rigueur, la fin de l'empire américain vers la moitié de ce siècle. La méthode principalement utilisée pour faire ces prédictions, dans ce chapitre, repose sur une extrapolation des données démographiques, économiques, géopolitiques actuellement disponibles. Elle fait appel par ailleurs à la prospective technologique, en étudiant notamment l'impact des nouvelles sciences et technologies sur les objets produits, les modes de consommation de ces objets et les transformations des sociétés et des moeurs en résultant. Le postulat de base est que le capitalisme marchand, accompagné d'une démocratisation institutionnelle relative (ce que Jacques Attali nomme la démocratie de marché), continuera à s'étendre mais que ses effets porteurs bénéficieront de plus en plus aux Etats-continents asiatiques. L'Amérique aura du mal à conserver sa suprématie. Quant à l'Europe, dans ce type de prospective, elle sera progressivement rayée du nombre des puissances, pour rejoindre l'Afrique dans le non-développement. Mais la vision futuriste de Jacques Attali ne s'arrête pas là. Dans les trois chapitres suivants, il cesse de faire des prévisions dans le prolongement des courbes actuelles, annonçant les événements qui, dans la suite du XXIe siècle, pourraient survenir du fait de l'épuisement de l'Empire américain et plus généralement du tarissement des capacités innovatrices du capitalisme de marché. Il imagine d'abord l'établissement de ce qu'il appelle un hyperempire où les Etats et les services publics auraient disparu. Le marché sera devenu planétaire, ses centres se répartissant au gré des luttes d'intérêts entre différentes parties du monde. Les Etats n'existant plus, ce seront des objets fabriqués en série et vendus sur le marché qui remplaceront les polices, les juges et les prisons. Il s'agira d'objets qu'il nomme des « surveilleurs » faisant largement appel aux technologies nouvelles telles les nanotechnologies. Ces surveilleurs, mis en place par des compagnies privées de sécurité, travaillant elles-mêmes pour des sociétés d'assurances privées dont le rôle deviendra majeur, veilleront à la régulation des comportements individuels. Mais très vite, ces outils d'hypersurveillance deviendront des outils d'autosurveillance permettant aux individus de vérifier eux-mêmes qu'ils ne dérogent pas aux règles d'hygiène et de sécurité. Les autres services publics, d'enseignement et de santé, seront eux-aussi délégués à des sociétés de service qui vendront les technologies adéquates. L'hyperempire résultera de l'accord entre ce qui restera des Etats et les sociétés privées elles-mêmes devenues nomades pour développer ensemble le contrôle sur les individus, par le biais notamment des neurosciences. Tout sera marchandise, au profit de l'individu consommateur, y compris le temps libre. Une catégorie dirigeante, les hypernomades, regroupera tous ceux qui profiteront à plein des possibilités de jouissance et de pouvoir de l'hyperempire. Dans leur sillage, des exécutants de bon niveau, cadres, ingénieurs, chercheurs formeront la classe des nomades virtuels. Au nombre de 4 milliards, ils seront sédentaires mais travailleront en réseau pour des entreprises nomades non localisées. La pauvreté n'aura pas disparu pour autant. Un effectif de 3,5 milliards d'infranomades ne pourra pas être résorbé. Ils subsisteront à la limite du seuil de survie de 2 dollars par jour et seront disponibles non pas pour toutes les tâches, car il n'y en aura plus guère pour eux, mais pour toutes les révoltes. Comme l'hypermarché ne pourra pas fonctionner sans un minimum de normes et d'arbitrages, les entreprises nomades, au sein des professions qui subsisteront, définiront les règles et les imposeront à tous. Jacques Attali insiste bien pour montrer, exemples à l'appui, que ce que le lecteur prendra pour un cauchemar existe déjà en partie. Mais nous ne le voyons pas, du fait que le livre ne nous avait pas encore éclairé. Comme cependant les contradictions de l'hyperempire ne feront que s'exacerber, avec la multiplication des entreprises criminelles échappant à tout contrôle, le monde basculera assez vite dans une ère d'hyperconflits. Les infranomades prendront les armes pour sortir de leur esclavage, les anciennes frontières géographiques et nationales ressurgiront, les guerres entre religions et visions du monde reprendront avec toute leur force. Des armes de plus en plus destructrices seront utilisées sans aucun contrôle global. Ce pourrait être purement et simplement la fin de l'humanité, comme celle d'ailleurs de tous les écosystèmes dévastés par les exploitations multiples. Cette fin serait cependant évitable si des humains d'un nouveau type, que Jacques Attali qualifie de transhumains, étaient capables de remettre le monde sous contrôle et de proposer - enfin - un développement harmonieux à l'ensemble des hommes. Tous pourraient alors se réconcilier, dans une nouvelle croissance due aux sciences de demain, nano, bio, info et cognosciences. Les possibilités de développement qu'elles permettraient pourraient être mises à disposition de tous, dans le cadre d'une économie du don gratuit, de préférence à une économie de marché qui ne serait plus nécessaire. On ne voit pas très bien comment, de l'excès de l'hyperviolence pourrait naître ce nouvel âge d'or, mais il faut que l'aventure finisse bien pour que le livre se vende. Jacques Blamont nous avait confié que son pessimisme excessif et le manque de happy end avaient découragé les achats. Le livre se termine, dans un retour brutal aux réalités d'aujourd'hui, par les réformes que Jacques Attali voudrait voir mettre en oeuvre par les vainqueurs des élections françaises. Sans ces réformes, le déclin de la France, déjà amorcé, ne ferait que s'accentuer. Elle n'aurait aucune chance alors de participer avec quelques succès aux compétitions de l'hypermarché mondial. Observations On serait tenté de considérer le « songe d'Attali », que nous venons de résumer trop rapidement, comme un exercice de science-fiction proposé par un altermondialiste. Il s'agirait de faire peur en montrant les dérives qui pourraient résulter d'une généralisation du capitalisme de marché et d'un libéralisme étendu à l'ensemble du monde. Mais nous sommes persuadés qu'il s'agit d'une prévision que l'auteur entend faire reposer sur de véritables bases scientifiques. C'est là que le livre nous laisse sur notre faim. Bien pire, il n'offre pas beaucoup d'arguments permettant de le considérer comme crédible en profondeur. Les à-peu-près abondent. L'ouvrage dans son ensemble est scintillant, voire vertigineux de scintillance, mais il repose sur beaucoup de lieux communs non critiqués. Les nombreux néologismes proposés par l'auteur (hypernomades, hyperempires) n'impressionneront que les naïfs. Ce ne sont que des images. Certes, l'ouvrage abonde en références historiques et géostratégiques difficilement discutables. Les faits et événements contemporains qu'il décrit sont également, dans l'ensemble, susceptibles de l'interprétation que l'auteur leur donne. Le mérite de Jacques Attali, sur lequel il a bâti une part de son succès médiatique, a toujours été d'identifier et nommer des tendances technologiques ou comportementales qui sont devenues ensuite de véritables faits de société. Ainsi de l'apparition des objets électroniques qu'il a été le premier, sauf erreur, à qualifier de nomades. Attali se tient certainement aussi au courant de l'évolution des technologies et des recherches scientifiques, ce qui lui permet d'en parler, sinon avec originalité, du moins avec une certaine compétence. Mais tout ceci ne suffit pas à construire une oeuvre vraiment scientifique. Une première remarque s'impose, qui n'est pas seulement de forme. L'absence de toutes références à des travaux antérieurs sur le même sujet étonne. Certes le nombre d'ouvrages et d'articles qu'il aurait fallu citer aurait été très grand. Cependant un minimum de titres paraissait s'imposer. Nous pensons à ceux de Jacques Blamont, Martin Rees et Fred Iklé (voir la bibliographie générale présentée sur le présent site). En ne citant personne, Jacques Attali s'attribue aux yeux des lecteurs naïfs la paternité des idées qu'il développe, ce qui est un peu désagréable. Un simple exemple de ce genre d'abus concerne les transhumains. Il en parle comme s'il avait lui-même inventé le thème du transhumanisme, alors que celui-ci fait l'objet d'une littérature abondante. Plus généralement, il nous semble qu'un travail scientifique suppose un peu de sens critique dans la définition et l'emploi des concepts. C'est ainsi que Jacques Attali appuie toute sa démonstration sur le rôle conquérant du capitalisme de marché, sans vraiment s'interroger sur ce que représente ce phénomène. Il en traite comme s'il s'agissait d'un être du monde réel dont nous devrions impuissants constater l'apparition puis le développement. Cette façon de procéder constitue l'argument même des libéraux. Ils veulent présenter le capitalisme privé et le désengagement des Etats qui selon eux doit l'accompagner comme les seules solutions capables à terme de résoudre tous les problèmes de rareté et tous les risques environnementaux, rareté et risques que ce même libéralisme génère d'ailleurs en partie (2) . Dans une approche évolutionnaire plus générale, il faudrait au contraire essayer de retrouver sous des phénomènes visibles, tels que l'innovation technologique ou l'apparition puis la diffusion des nouveaux produits et usages, les comportements génétiques et culturels qui peuvent les déterminer. Plus en amont encore, il serait bon d'introduire la problématique des conflits entre super-organismes et mèmes structurants qui permettrait de mieux comprendre la raison d'être des évolutions économiques et politiques en résultant. On pourrait ainsi montrer que ce que les libéraux présentent comme un état intangible du monde peut être décomposé et par conséquent modifié par des interventions adéquates - lesquelles d'ailleurs ne seront pas nécessairement "volontaristes" au sens que leur donneraient les défenseurs du libre-arbitre politique. Si nous posons en hypothèse que le capitalisme libéral est une donnée de fait (certains prétendent d'ailleurs y voir la main de Dieu sur Terre), la seule attitude possible consistera à céder aux prétendues injonctions que cet être mythique nous impose (par la voix de ceux qui s'en font les prophètes). S'il s'agit au contraire d'un phénomène complexe dont on analysera les causes profondes, il sera possible, du seul fait de cette analyse, de le déconstruire et d'en modifier éventuellement soit les formes soit le cours. Ce que nous écrivons ici à propos du capitalisme pourrait l'être repris à propos de tous les autres concepts utilisés. A l'inverse, il est des silences et des non-dits qui sont politiquement significatifs. Le peu de cas que, dans ce livre, Jacques Attali fait de l'Europe découragerait tout Européen de continuer à vivre dans cette partie condamnée du monde. Il parle en fait de l'Europe comme le ferait un néo-conservateur américain. Est-ce un hasard ? Nous avons noté que le mépris avec lequel il évoque pour l'exécuter, au détour d'une phrase, l'avion de combat français Rafale, paraît suspect. Préfèrerait-il que la France ait rejoint le consortium du F-35 Joint Strike Fighter, véritable réussite industrielle, tant par les performances et les délais de livraisons annoncés que par le prix ? Plus généralement, nous avons plusieurs fois montré dans cette revue que les prétendus phénomènes sociaux ne sont pas des réalités en soi d'un réel transcendental - non plus d'ailleurs que les objets du monde physique. Ce sont des constructions élaborées par certains observateurs utilisant certains instruments et poursuivant ce faisant certaines finalités qui les intéressent en propre mais qui ne peuvent prétendre à l'universel. Si par une véritable intoxication des esprits les économistes libéraux voulaient nous persuader que le capitalisme dont ils nous menacent n'est pas une invention de leur part mais une réalité dont tout le monde peut à l'évidence témoigner, nous devrions commencer par remettre en question cette prétendue évidence et les témoignage censés prouver sa « matérialité ». A force de répéter aux gens que le capitalisme libéral est la seule solution possible, ceux-ci finissent en effet par s'en convaincre et se comporter de façon à confirmer cette affirmation. Autrement dit, il s'agit d'une prophétie auto-réalisatrice. Pour prendre un exemple récent, si les économistes et les politiques libéraux nous affirment que l'intervention de l'Etat fait fuir les élites d'un pays, tous ceux qui pensent appartenir aux élites vont commencer à préparer leur repli dans des paradis fiscaux. Ceci même si cette intervention de l'Etat servait à prendre en charge des investissements de long terme refusés par le capital et indispensable à la survie de la société. L'acte indéfendable accompli par un certain Johnny Hallyday fuyant l'impôt français dans un paradis fiscal deviendra une référence mémétique qui s'imposera à tous. Ceux situés au bas de l'échelle des revenus, qui ne seront pas les bienvenus en Suisse, trouveront de leur côté, par la fraude aux Assedic, l'occasion de nous montrer qu'effectivement la social-démocratie et l'intervention économique de l'Etat « ne marchent pas ». Il ne restera plus qu'à voter à droite. Ordre étatique contre ordre marchand Jacques Attali s'est efforcé de trouver une loi sous-jacente aux succès historiques du capitalisme libéral. Selon lui, l'évolution des sociétés humaines serait déterminée en profondeur par la volonté des individus d'échapper aux contraintes collectives et de devenir les seuls maîtres de leur avenir. Mais là encore, il est impossible de démontrer la pertinence d'une telle hypothèse. Dans certaines circonstances, l'individuation (comme disent les ethnologues évolutionnistes) peut en effet s'exprimer au sein de groupes bénéficiant de conditions favorables. Mais elle disparaît tout aussi vite et laisse place aux comportements symbiotiques et coopératifs dès lors que les contraintes extérieures s'accentuent à nouveau. C'est sans doute ce qui se produirait si, comme vraisemblablement dans les prochaines années (nul besoin d'attendre 2050), les exigences de survie imposées par l'augmentation de la démographie, la diminution des ressources et la destruction de l'environnement imposaient le retour à un contrôle collectif (participatif) des comportements. Les régulations étatiques et les services publics, tout au moins dans les pays où ils ont acquis une certaine maturité face à la corruption et aux crimes organisés, seraient de nouveau appelés au secours par les individus. Curieusement, c'est un économiste ayant un passé de financier international, Nicholas Stern, qui l'a laissé entendre d'une façon moins que subliminale. Il serait possible dans cet esprit de proposer d’autres hypothèses que celles des défenseurs du libéralisme pour expliquer l’histoire contemporaine. Elles ne donneraient pas, comme le fait notamment Jacques Attali, le rôle premier aux individus voulant gagner de l’argent grâce aux innovations technologiques et cherchant pour ce faire à s’affranchir des contraintes étatiques. Il est certes presque certain que la cause première de toutes les évolutions sociales se trouve dans l’apparition de nouvelles technologies. Ne discutons pas ce point. Mais ceci admis, la première question à poser concerne la cause première de l’innovation technologique. On peut sans trop de difficultés montrer que différents mécanismes relevant de ce que les méméticiens nomment la diffusion virale obligent chaque technologie à muter et entrer en compétition darwinienne avec les autres, selon des cycles de plus en plus accélérés et convergents. Pour rester dans l’approche mémétique, on parlera dans ce cas, non plus de technologie proprement dite (la caravelle, la machine à vapeur, le transistor, etc.) mais de technomèmes qui mutent, entrent en conflit et se reproduisent sur le même mode que les espèces vivantes. Le terme de technomème englobe non seulement la technique elle-même mais les humains ou groupes humains qui forment avec elle des ensembles symbiotiques. Or ces humains ne sont pas nécessairement, contrairement à ce qu’affirme Jacques Attali, constitués de marchands qui veulent s’enrichir en imposant un libéralisme universel. Il est indéniable que de tels marchands ont joué un rôle dans l’expansion des techniques. Mais les pouvoirs étatiques (voire religieux) ont joué et continuent à jouer un rôle au moins aussi grand. Ils peuvent pour ce faire s’appuyer sur les marchands, mais ils peuvent aussi intervenir selon leurs logiques propres, qui sont celles du pouvoir et de la domination. Ils seront alors dans certains cas obligés de s’opposer à l’ordre marchand. Nous sommes pour notre part persuadés que la compétition entre ordre marchand et ordre étatique se poursuit aujourd’hui, sans que l’ordre marchand apparaisse nécessairement comme le plus fort. Ce dernier n'a réussi à s’installer - d’ailleurs provisoirement et sous contrôle - que là où l’ordre étatique, en l’espèce certains Etats dominants, trouvait intérêt à s’appuyer sur lui pour démanteler d’autres Etats. En utilisant cette simple grille d’analyse, on peut expliquer l’histoire contemporaine de façon toute différente mais aussi convaincante que ne le tente le livre de Jacques Attali. On verra ainsi que si l’URSS a explosé, ce ne fut pas sous la poussée des marchands voulant utiliser les nouvelles offres technologiques pour faire du profit. Ce fut sous la poussée directe de l’Etat américain s’appuyant sur ces mêmes technologies. De même aujourd’hui, si l’Europe ne parvient pas à décoller politiquement, ce n’est pas parce qu’elle n’est pas assez libérale. C’est parce que le lobby politico-industriel américain ne veut pas que se constitue à sa frontière orientale une grande puissance capable d’entrer en compétition avec la puissance américaine. Si nous appliquions cette même analyse à la prévision, nous pourrions aisément montrer que les crises résultant des abus du libéralisme soulèveront de telles oppositions parmi les populations du monde que les puissances étatiques menacées dans leur avenir ne tarderont pas à réagir. Elles le feront avec leurs armes qui ne sont pas nécessairement les plus aptes à redresser le cours de l’évolution globale, mais en tous cas les marchands, fussent-ils délocalisés et hypernomades, devront s’incliner. Pour ce qui concerne le futur de l’Union européenne, nous pourrions avancer l’idée que ce ne serait pas le libéralisme qui lui permettrait d’acquérir plus de puissance étatique. Ce serait au contraire un recours à un colbertisme éclairé et participatif, selon le terme que nous avons proposé ailleurs. * Co-rédacteur en chef, avec l'auteur, du site www.automatesintelligents.comNotes (1) Reprenant notamment ici le thème d'un précédent ouvrage, "La figure de Fraser", Fayard, 1984 (2) Cette idée est développée dans un article de Anatol Lieven. Anatol Lieven est "senior research fellow at the New America Foundation" à Washington et auteur avec John Hulsman, de “Ethical Realism : A Vision for America's Role in the World”. Il ne s'agit donc pas d'un gauchiste irresponsable. L'article se trouve à l'adresse suivante : http://www.iht.com/articles/2006/12/28/opinion/edlieven.php. En quelques paragraphes, Lieven, selon nous, donne un coup de vieux terrible au livre de Jacques Attali. |
Retour au sommaire |