Mathieu François du Bertrand : L'or des saisons |
La Dépêche du Midi Mercredi 30 juillet 2008 |
Publié sur My Space |
10 juil. 2008, 07:00
L’or des saisons, Mathieu François du Bertrand Soleil Et bien parlons-en, de L'or des saisons, du bonheur de
lire le dernier roman de Mathieu François du Bertrand publié
aux éditions Jean-Paul Bayol. Maxime Foerster |
Publié sur 'Stalker' :Quelques fleurs sur la tombe de Pierre Frayssinetpar Juan Asencio
Je ne suis pas certain de beaucoup aimer les poèmes
de Pierre Frayssinet, l'un de ces auteurs impeccables et insignifiants,
aussi impeccables qu'insignifiants d'ailleurs, dont on retrouve les obscurs
égaux dans cette magnifique collection hélas épuisée
qu'édita La Différence, Orphée. La mort seule, sans
que nous sachions exactement quelle maladie a emporté Pierre Frayssinet,
semble avoir auréolé d'une lueur tragique ses poèmes
tendus au cordeau et époussetés avec le soin maniaque d'une
grand-mère, alors que le Journal d'un autre écrivain mort
lui aussi jeune (à vingt-six ans), Jean-René Huguenin, gronde
d'une force intérieure et d'une colère annonciatrice, on
le dirait, de toutes les catastrophes insignifiantes qui se sont produites
(et continuent de se produire) depuis la seconde moitié du XXe
siècle. Huguenin chante contre la génération lyrique
disséquée par François Ricard, imposant ses belles
notes aux innombrables couacs de ces castrats sans pensée et sans
coffre. Frayssinet, lui, semble bercé par la douce mélodie
de ses propres poèmes chantant l'or tragique des heures enfuies,
mélodie créant comme un doux cocon à l'abri duquel
il rêva, sans se souvenir des éclats tragiques des voix de
la guerre toute proche, la Grande et celle qui allait venir, qu'il ne
vit pas et ne soupçonna, selon toute apparence, pas davantage.
Note |
Vouloir la vérité d'un monde achevéRencontre avecMathieu François du Bertrandà propos de L'or des saisonsEditions Jean-Paul Bayol, 2008.
Raphaël Dargent. - Votre deuxième roman, L’or des saisons, est entièrement consacré à la destinée tragique du poète et écrivain français, Pierre Frayssinet, mort très jeune en 1929 et aujourd’hui oublié. Qu’est-ce qui vous a mis sur les pas de cet auteur ? Le hasard de la proximité géographique, vous-même étant comme lui installé en Gascogne ? Une communauté d’âge ? Une même affinité poétique ? Mathieu François du Bertrand. - Le hasard a eu une grande part, au commencement, parce que c’est en ouvrant un dictionnaire de la Lomagne que je suis tombé sur un article consacré à Pierre Frayssinet. Bien sûr, il y a eu de nombreux poètes morts jeunes, dans toutes les régions de France, mais peu ont eu un talent aussi remarquable. Avant de m’installer à Paris j’ai longtemps habité dans le Sud-Ouest de la France, et vous avez raison de rappeler cette expression chère de « proximité géographique », car c’est ce qui m’a conduit à Pierre Frayssinet. Sans ce facteur-là, il est bien clair que jamais je ne l’aurais découvert. Cela dit, il faut savoir que cela n’aurait pas suffit à conduire ce dialogue d’outre-tombe. Mon émotion devant son destin était réelle, mais elle aurait été incapable à elle seule de faire émerger cette volonté qui m’a amené à écrire un livre sur une personne ayant vraiment existé. Il fallait qu’il y ait quelque chose de plus fort, et ce bouleversement a eu lieu quand j’ai lu les œuvres de Pierre Frayssinet : j’en suis tombé amoureux tout de suite. Oui, lui et moi étions liés par beaucoup de choses, nous avons à peu près le même âge, en grandissant nous avons connu les mêmes lieux, nous avons en commun l’amour de Baudelaire et de Mallarmé. La seule chose qui nous a séparés, et c’est le plus triste à reconnaître, c’est l’époque : il est mort un demi-siècle avant que je naisse. Cela écartait d’emblée toute affection personnelle ou amicale, car je ne l’ai jamais rencontré. J’ai certes rencontré des personnes qui l’avaient rencontré, ou des personnes qui avaient rencontré des personnes qui le connaissaient, mais cette intimité entre nous s’est arrêtée là. Raphaël Dargent. - La Lomagne, ses paysages, ses châteaux, sont omniprésents dans votre roman. C’est beaucoup plus qu’une toile de fond. La nature était-elle une source importante de l’inspiration de Pierre Frayssinet ? Mathieu François du Bertrand. - Ah oui, tout à fait, et là nous revenons au problème évoqué plus haut, à savoir celui de la véracité. Pierre Frayssinet avait un rapport passionné avec les lieux, et surtout la campagne du Gers et du Tarn-et-Garonne, où il revenait tous les étés. Paris ne lui a jamais plu, bien qu’il y passait la plupart de l’année afin de suivre des études de sciences économiques. Un de ses grands plaisirs était de revenir en Lomagne, avec sa famille, à la fin de son année universitaire, afin de séjourner chez lui, à Beaumont-de-Lomagne ou à Mauroux, généralement de juillet à septembre. Dans l’œuvre de Pierre Frayssinet, la nature est une forme sacrée d’embrasser la présence, et d’être plus à même de pénétrer le cœur de cette avidité qui rend les jours si fragiles. Quelques poèmes ont même été signés dans des endroits très divers : une fois dans un jardin, une autre fois au bord d’une fontaine… Il tenait vraiment à être le plus près possible de son objet, et c’est sans doute ce côté virgilien qui m’a le plus séduit dans son œuvre : sa façon de parler des ruisseaux ou des différents degrés de lumière, par exemple. Raphaël Dargent. - Je relève une très belle notion dans L’or des saisons : celle de maître et de disciple. Pierre Frayssinet admirait Mallarmé mais suivit les conseils de classicisme de Raymond de La Tailhède, longtemps proche de Maurras. Quel fut exactement l’apport de Raymond de La Tailhède dans l’oeuvre de Frayssinet ? Mathieu François du Bertrand. - La Tailhède était un apôtre d’un romantisme sempiternel, parfois lourd, célébrant toujours le solennel du solennel du solennel. C’est là une de mes grandes différences avec Pierre Frayssinet, car je suis peu sensible à la poésie de Raymond de La Tailhède, et malgré mes efforts je peine à croire qu’il ait eu de l’admiration pour lui. Je sais que Verlaine vénérait La Tailhède et qu’il avait même dit que « le jour où la nature fit de beaux rêves, elle vit naître Raymond de La Tailhède », soit, mais c’est un intérêt que je ne partage pas. Ce qu’on peut voir, nonobstant, dans l’œuvre de Pierre Frayssinet, c’est cet académisme indéniable qui l’a tenu à l’écart de l’avant-garde, notamment des surréalistes. Et cette rigueur, il la devait sans doute à Raymond de La Tailhède. C’est à ma connaissance le seul auteur que Pierre Frayssinet ait fréquenté. Raphaël Dargent. - Vous-même vous définissez comme un disciple de l’écrivain Renaud Camus. Vous pratiquez d’ailleurs comme lui, et comme lui avec talent, l’écriture du journal et la photographie. Si Renaud Camus fait pour vous figure de maître, quel est son enseignement ? Mathieu François du Bertrand. - Oulala… Je ne me suis jamais défini comme un disciple de Renaud Camus. C’est une place qu’on m’assigne souvent, mais elle est contestable sur de nombreux points. Il y a d’abord que Renaud Camus est sans doute le plus grand écrivain français d’aujourd’hui, et vous imaginez sans mal l’envergure qu’impliquerait le statut de disciple. Malgré ses divergences avec l’époque, Renaud Camus est quand même beaucoup lu par de jeunes auteurs qui le citent et le défendent, et je ne suis pas sûr, loin de là, d’être le représentant le plus doué pour incarner cette suite. Il est vrai que je connais Renaud Camus depuis de nombreuses années, mais de sa part je n’ai jamais reçu d’enseignement à proprement parler. Raphaël Dargent. - Que pensez-vous de la littérature française actuelle ? Et outre Renaud Camus, quels sont les auteurs, présents ou passés, que vous affectionnez ? Mathieu François du Bertrand. - Ce que je pense de la littérature française d’aujourd’hui ? Figurez-vous que je viens d’habiter un an en Espagne, et je dois vous dire que là-bas, pire qu’ailleurs, on rappelle aux grincheux « l’âge d’or » du livre que notre siècle traverse, et je trouve cela honteux, car je crois exactement l’inverse, à savoir qu’aucune époque n’a jamais été aussi peu littéraire que la nôtre. En France, la situation n’est guère mieux, parce que la littérature officielle, celle dont parlent les journaux à grand tirage et les émissions pseudo-littéraires, est une littérature détestable. Mais la haute littérature existe encore, même si elle a perdu ce rôle majeur autour duquel la société générait une âme. Aujourd’hui la littérature a rejoint l’empire du divertissement, mais dans ses souterrains on entend encore parler des Pascal Quignard, Jacques Roubaud, Yves Bonnefoy, et malgré tout c’est un bonheur, dans un pays comme le nôtre, de voir que tous les ans des livres sont écrits par ce genre de personnes. Raphaël Dargent. - Vous placez en exergue de votre roman la formule de Jean Giraudoux : « Le lyrisme n’est pas la seule poésie du monde ; il en est la seule dignité. » Et on sent poindre chez vous comme chez Frayssinet, derrière l’exagération des sentiments et l’exacerbation des sens, l’attrait jamais vraiment formulé pour le grand homme, le souci de la grandeur, peut-être même une certaine soif de héros. Mais y a-t-il encore place aujourd’hui pour le lyrisme et pour la grandeur ? Ne sommes-nous pas, en littérature comme en politique, parvenus au royaume de Lilliput ? Mathieu François du Bertrand. - J’ai parlé de valeur, dans L’or des saisons, parce que je crois que dans le temps un non-lieu est possible, un écart où toutes les époques viennent choir, qui fait qu’on les adore toutes. Cet essai pour aimer l’alentour sera toujours possible dans une société historique, c’est-à-dire dans un lieu qui n’échappe pas à sa longévité. Il faut sentir vibrer la matière du temps pour avoir envie de la conquérir. Oui, je suis convaincu qu’il y a de la place, encore, pour ce que Giraudoux a appelé le lyrisme, il y a de la place et il faut qu’il y en ait. Raphaël Dargent. - Votre prose est souvent très poétique et on perçoit chez vous un sens aigu de l’esthétique. Pensez-vous, comme dit La Tailhède, qu’il faut établir autour de soi « un impérialisme de la beauté » laquelle beauté est d’abord « une histoire de la manière » ? Mathieu François du Bertrand. - Forcément, quand on parle d’esthétique, aujourd’hui, ou quand La Tailhède parle d’impérialisme, on pense tout de suite à une discipline maniaque et obsessionnelle, scrupuleuse des détails. La vérité est beaucoup plus simple, car la liberté qu’elle procure est immense. Néanmoins, l’époque a offensé la beauté d’une manière effroyable, car aujourd’hui celle-ci ne peut même plus être définie sous prétexte de goûts divers ou de cultures innombrables qui jaillissent autour d’un fascisme de la langue, qu’évoquait Barthes. C’est pour cela que j’ai tenu à préférer, parmi de nombreux termes, celui d’ « histoire de la manière », car il me semblait impliquer cette idée, terrible et imprononçable pour beaucoup, de hiérarchie de genres. Cette tentative esthétique, séculaire et mystérieuse, cela pourrait être le style. Raphaël Dargent. - L’amour des vieilles pierres, le souci de préserver un patrimoine architectural - souci qui se traduit par une frénésie de photographies qui fixent une fois pour toutes ce patrimoine, cet esthétique -, mais aussi l’envie du voyage, la découverte de vastes horizons et de hauts lieux, n’est-ce pas une façon de se placer délibérément en marge du monde actuel, en opposition peut-être, et ceci, aussi paradoxal que cela puisse paraître, d’abandonner la virtualité et la fausseté du monde présent pour retrouver la vérité d’un monde révolu mais authentique, qui peuple encore nos songes et fait courir l’imaginaire ? Mathieu François du Bertrand. - Je ne citerai
jamais assez ce vers de Francisco de Quevedo, Escucho a los muertos con
los ojos (« J’écoute les morts avec les yeux »),
qui me semble illustrer, peu ou proue, une certaine ampleur d’esprit,
que de nombreuses personnes devraient parfois observer. C’est la
croyance que les années et ceux qui les ont traversées ont
laissé dans les lieux qu’ils ont quittés et que nous
habitons à présent la trace de leur foi. C’est ce
déchirement qui dicte la présence, c’est cette rage
qui fait exister la littérature. J’aime ces lieux, en effet,
qui viennent coïncider avec le désir et la rêverie,
mais même autour de ce pèlerinage le monde actuel, comme
vous dites, a jeté ses tentacules, et malgré les apparences
je crois malheureusement qu’il ne reste plus grand-chose de ce patrimoine
et de ses hauts lieux. Vouloir la vérité d’un monde
achevé, c’est revenir inévitablement à la blessure
du monde contemporain. Je ne suis pas sûr qu’une telle échappée
soit possible, mais si elle a lieu d’être, cela pourrait être
la voie de la littérature. |